Grand débat économique : proposer ou raconter ?

Emmanuel Macron lors d'une rencontre du "Grand débat national" avec des maires à la préfecture de Bordeaux
Emmanuel Macron lors d'une rencontre du "Grand débat national" avec des maires à la préfecture de Bordeaux ©AFP - Caroline BLUMBERG
Emmanuel Macron lors d'une rencontre du "Grand débat national" avec des maires à la préfecture de Bordeaux ©AFP - Caroline BLUMBERG
Emmanuel Macron lors d'une rencontre du "Grand débat national" avec des maires à la préfecture de Bordeaux ©AFP - Caroline BLUMBERG
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Le grand débat national s'achève et les questions économiques ont été omniprésentes. Parmi les opinions et les propositions qui ont émergé, reste à savoir ce qui se traduira en actes. Mais en matière d'économie, vaudrait-il mieux recueillir des descriptions plutôt que des opinions ?

Fiscalité, dépenses publiques, retraites, pouvoir d’achat : l’économie était partout dans les discussions du grand débat, fiscalité et pouvoir d’achat étant même les premières préoccupations des personnes ayant donné leur avis sur internet. Ces avis en ligne, Le Parisien en a analysé les grandes orientations : on lit sans surprise qu’à la question « pour quels domaines d’action publique seriez-vous prêts à payer plus d’impôts » la réponse arrivée en tête est « aucun », et que les domaines les moins choisis sont la solidarité et la culture. Quant aux impôts qu’il faudrait baisser, c’est la TVA qui est la plus citée, avec la baisse de la TVA sur les produits de première nécessité, proposition aujourd’hui incompatible avec les règles européennes.

Au-delà de la consultation en ligne, des propositions se sont démarquées lors des discussions qui se sont tenues : l’indexation des retraites sur l’inflation, le rétablissement de l’ISF (lui déjà écarté par Emmanuel Macron dans sa lettre aux français) et la mise en place d’un impôt sur le revenu qui serait payé par tous, même de manière symbolique, proposition rejetée par Matignon.

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Tout l’enjeu reste donc de savoir ce que l’exécutif retiendra des débats. La semaine dernière le ministre de l’économie Bruno Lemaire affirmait que dans les débats « on trompait les Français », car le redressement disait-il « ne passe pas par plus de redistribution fiscale ».

Difficulté supplémentaire pour traduire les opinions en actes : si ce recueil d’avis à grande échelle s’apparente à un sondage, il n’est pas représentatif, disait Jérôme Fourquet de l’IFOP au Parisien. La France qui s’est exprimée est urbaine et favorisée. Les Ardennes, le Nord ou encore le Pas-de-Calais ont participé quatre fois moins que Paris ou les Yvelines au grand débat.

La description plutôt que l'opinion ?

Il y a quelques semaines l’anthropologue Bruno Latour disait à la revue en ligne Reporterre que plutôt que de demander aux gens leur avis, il faudrait leur demander de décrire leur situation. Et il est intéressant de relever le caractère proprement économique de cette idée. Car en décrivant des situations concrètes, on fait apparaître nos liens économiques existants, où précisément ils posent problème, et avec qui s’allier pour les défendre, notamment localement. Car le système « n’est pas en haut, ce n’est pas l’État, le système est en bas : c’est l’ensemble des conditions dont les gens ont besoin pour subsister. »

L’idée, c’est donc qu’en se décrivant, chacun redécouvre à qui et à quoi il est lié, pour mieux défendre ses intérêts. Et Bruno Latour nous invite tous à nous poser trois questions :

  • Premièrement : « Quels sont les êtres et les choses qui vous permettent de subsister ? » Sans parler seulement d’argent.
  • Deuxièmement : « De quoi dépendons-nous ? Qui dépend de nous ? »
  • Et enfin seulement dans un troisième temps, sans quoi le risque est de rester trop général : « Que sommes-nous prêts à défendre ? Qui sommes-nous prêts à attaquer ? Et avec qui se défendre ? »

Si l’on prend l’exemple du Brexit, le problème est bien que les anglais aient d’abord donné une opinion générale sur leur identité avant de réaliser leurs dépendances à des liens dont beaucoup sont d’ailleurs, européens.

"Les racines de la colère", de Vincent Jarousseau (Editions des Arènes)

Parler de décrire précisément sa situation, c’est l’occasion d’évoquer le livre Les racines de la colère du photographe Vincent Jarousseau. Pendant deux ans il a suivi des habitants de Denain, ville du Nord de 20 000 habitants et l’une des plus pauvres de France. Sous la forme d’un roman-photo, il y dépeint des portraits d’habitants que l’on suit au travail, dans les transports, en famille ou lors de leurs rendez-vous administratifs. Et l’on comprend particulièrement bien les enjeux liés à Denain à la mobilité, souvent contrainte et indispensable quand il s’agit d’emploi.

Décrire ces situations, et sa situation, c’est alors une façon de voir l’économie non pas comme une accumulation d’opinions mais comme des liens existants qu’il s’agit de raconter pour mieux se défendre et les améliorer.

Lire en ligne l'entretien de Bruno Latour avec Hervé Kempf dans Reporterre : « Les Gilets jaunes sont des migrants de l’intérieur quittés par leur pays »

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