La hausse des prix du diesel et les réactions qu'elle provoque, rend compte du difficile équilibre que doit rechercher le politique afin de faire coïncider efficacité dans la lutte contre le changement climatique et impératif de justice sociale.
La hausse des prix du carburant et les réactions qu’elles provoquent semble être une manifestation particulièrement pertinente de ce tâtonnement incessant du politique pour aboutir à un équilibre entre efficacité économique, écologique et un impératif de justice sociale.
Si la hausse des prix du diesel à la pompe est en partie due à l’augmentation des cours du pétrole ces derniers mois, c’est bien la décision d’augmenter les taxes sur les produits énergétiques, diesel, essence et fioul, qui cristallise aujourd’hui la colère des Français.
Décidée sous le quinquennat Hollande, cette hausse des taxes devait permettre d’aligner les prix du gazole sur l’essence avant d’augmenter le prix de tous les carburants -la fameuse contribution climat énergie ou taxe carbone- afin de faire baisser leur consommation et lutter contre les émissions de gaz à effet de serre.
La taxe carbone devait également permettre de limiter la pollution aux particules fines, liée à l’usage du diesel. Mais en dépit de l’évidente nécessité de diminuer le recours à la voiture, responsable d’une part non négligeable de la pollution de l’air, cette baisse ne peut se faire par un simple coup de baguette fiscale.
Certes, comme l’explique le prix Nobel d’économie, Jean Tirole, le fait d’augmenter les prix reste l’un des instruments les plus efficaces pour tordre les habitudes et comportements des consommateurs. Mais c’est justement le recours à ce type de rhétorique qui participe à rendre impopulaire toute politique de lutte contre le changement climatique.
Une politique d’autant plus impopulaire qu’elle apparaît imposée de manière unilatérale, sans concertation ni dialogue social et sans compensation financière pour les personnes les plus pauvres. Car si la taxe carbone est un outil utile afin de faire évoluer nos pratiques, elle ne peut se suffire à elle-même et doit participer d’une remise à plat complète de notre système fiscal.
Un système français complexe et pas toujours très cohérent. Comme le pointait la Cour des comptes dans un récent rapport, le poids des dispositifs fiscaux préjudiciables à l’environnement est aujourd’hui plus fort que ceux qui lui sont favorables. Pointant notamment le traitement fiscal préférentiel du diesel, elle dénonçait plus largement un système profondément incohérent qu'il conviendrait de remettre à plat.
Le gouvernement ne peut donc se satisfaire aujourd’hui d’augmenter la fiscalité sur les carburants en expliquant doctement que cela conduira à un changement des pratiques. Car dans bien des cas, le recours quotidien à la voiture individuelle a été rendu inévitable par l’organisation spatiale du territoire et de l’économie. Une situation encore aggravée par la fermeture des services publics et des commerces de proximités ainsi que par l’extinction progressive des petites lignes de train et autres alternatives de mobilité, jugées trop onéreuses.
En clair, les personnes qui n’ont d’autre alternative que de prendre leur voiture pour aller au travail, pour faire leurs courses ou régler des problèmes administratifs sont aujourd’hui captifs de cette hausse des prix et n’ont d’autre solution que de payer plus. Une logique particulièrement injuste donc.
D’autant qu’on ne saurait limiter la question de la pollution à l’usage de la voiture individuelle. Et si, bien-sûr, la transition doit être portée par chacun d’entre nous, cette démarche du consommateur-acteur du changement, ne doit pas servir d’écran de fumée permettant la perpétuation d’un système économique productiviste et carboné.
Car il est toujours plus simple d’augmenter la fiscalité quotidienne des citoyens que de mettre en place une taxation adaptée sur le transport de marchandises aérien, maritime et routier, qui jouent pourtant un rôle fondamental dans l’émission de gaz polluants.
Il est plus simple d’attendre que la grogne citoyenne passe, que de remettre en cause un modèle économique insoutenable, mais néanmoins si confortable. Et l’argumentation est bien rodée : augmenter la fiscalité de ces acteurs, c’est se tirer une balle dans le pied dans une économie compétitive et mondialisée, s’assurer la chute dans les limbes de la non-croissance. Le désastre en somme.
Un désastre que nous ferions pourtant bien de penser avec un peu plus de courage si nous ne voulons pas nous faire rattraper collectivement par le véritable désastre qui vient : écologique et politique.
L'équipe
- Production
- Collaboration