Le carnaval des inégalités

La favela de Paraisopolis, dans la banlieue de Sao Paulo
La favela de Paraisopolis, dans la banlieue de Sao Paulo ©Getty - 	Francisco A. Ferreira Neto
La favela de Paraisopolis, dans la banlieue de Sao Paulo ©Getty - Francisco A. Ferreira Neto
La favela de Paraisopolis, dans la banlieue de Sao Paulo ©Getty - Francisco A. Ferreira Neto
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Après une baisse sans précédent des inégalités et de la pauvreté, le Brésil connait aujourd'hui une hausse de ces indicateurs. Une rechute liée à la crise économique de 2015 mais également aux enjeux de pouvoir d'un pays encore hanté par ses années d'esclavage.

Une baisse sans précédent de la pauvreté et des inégalités

Derrière l’image caricaturale mais néanmoins existante des quartiers sécurisés pour ultra-riches bordant les favelas, c’est une réalité plus complexe qui se dessine dans ce pays qui s’était aussi illustré par une ambitieuse politique de lutte contre la pauvreté et de résorption des inégalités.

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On se rappelle ainsi des réformes sociales mises en oeuvre par le président Lula, dès son arrivée au pouvoir en 2003, qui avaient permis la sortie de la misère de plus de 40 millions de brésiliens et la baisse sans précédent de l’indice des inégalités dans le pays.

L’un des projets phare de cette politique avait été le fameux programme de la “bolsa familia”, qui attribuait une aide financière aux familles les plus modestes en contrepartie d’une scolarisation des enfants du foyer ou d’engagements dans le domaine de la santé. 

Mais ce que l’on sait peu, c’est que cette politique, emblématique des années de la gauche au pouvoir, est toujours en place et qu’elle sert aujourd’hui toujours de filet de sécurité à des millions de brésiliens qui ont vu leurs conditions de vie se détériorer au cours des trois dernières années. 

Une crise amplifiée par l'austérité

Il faut dire que le Brésil est plongé depuis 2015 dans une très grave crise économique. Le pays a subi de plein fouet la chute du cours des matières premières, sur lesquelles son économie est encore largement fondée, entraînant un retour de l’inflation et une hausse sans précédent du chômage, qui a doublé en trois ans, atteignant 13% de la population active en 2017. 

Et la situation s’est encore aggravée avec la cure d’austérité décidée par Dilma Roussef et amplifiée par son successeur Michel Temer. Alors que le pays s’enfonçait dans la récession, les gouvernements successifs ont ainsi jugé que la priorité absolue était de sabrer dans les aides sociales et de geler les dépenses publiques sur les vingt prochaines années. 

Mais au delà de cette cure d’austérité imposée à un pays déjà exsangue économiquement, c’est tout le système redistributif brésilien qui est à repenser. Dans un rapport récent, les économistes de la Banque mondiale, que l’on peut difficilement soupçonner d’être de dangereux marxistes ont ainsi pointé les défaillances du système de redistribution qui tend à creuser les inégalités. 

L’ancien ministre du budget, désormais à la tête de la banque brésilienne de développement, Dyogo Oliveira, a lui-même reconnu que le régime brésilien des retraites transférait les revenus des plus pauvres vers les plus riches. 

Une préférence politique pour l'inégalité

En réalité cette préférence pour l’inégalité est loin d’être un hasard. C’est en tout cas ce qu’affirme l’économiste Marc Morgan, membre du Laboratoire sur les inégalités mondiales de Thomas Piketty, pour qui cette perpétuation des inégalités au Brésil est le résultat d’un choix politique affirmé. 

La politique fiscale anti-redistributrice du Brésil, où les pauvres paient proportionnellement plus d’impôts que les classes supérieures, est clairement à mettre en lien avec les fractures sociales et historiques d’un pays qui a été le dernier à abolir l’esclavage. Ainsi le fait de maintenir les plus pauvres dans une situation de domination est en réalité une manière de perpétuer la logique de castes. 

Dans un pays où les différences de peau sont à la fois plus diffuses et moins prégnantes dans les représentations sociales, un pays dit du “racisme cordial”, les chiffres restent cependant implacables. Ainsi près de 70% des domestiques et des vendeurs ambulants sont noirs ou métis alors que seuls 5% d’entre eux occupent des postes d’encadrement. Le maintien des noir et des métis dans la pauvreté est donc une manière d’entretenir les rapports de pouvoir en faveur des blancs.

C’est d’ailleurs ce que confirme le chercheur André Calixtre, qui explique “qu’après l’abolition de l’esclavage, en 1888, il n’y a pas eu au Brésil de véritable réforme agraire” pour remettre en cause la toute puissances des propriétaires terriens blancs. Bien au contraire, les logiques de domination à l’oeuvre pendant la période de l’esclavage se sont fossilisées dans des inégalités socio-économiques toujours présentes aujourd’hui.  

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