La consommation de viande baisse en France depuis vingt ans du fait notamment de son prix. Dans le même temps, ce sont les classes populaires qui consomment le plus de viande. Une situation qui peut s'expliquer par un contrôle social et alimentaire, qui a toujours cours aujourd'hui.
Une baisse de la consommation de viande depuis vingt ans
Après des décennies de démocratisation et de hausse de la consommation de viande en France, une étude du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie, le Credoc, publiée le mois dernier, nous apprend que la consommation de « produits carnés », selon les termes de l’étude, a chuté de 12% au cours des dix dernières années.
Les causes sont bien entendu multiples mais le rapport met en avant les changements de perception et la prise de distance progressive vis-à-vis de la viande, du fait notamment des multiples scandales sanitaires, de la vache folle à la fin des années 1990 ou encore de la grippe aviaire en 2005.
En réalité, si ces scandales n’ont eu qu’une incidence ponctuelle, éphémère, sur la consommation de viande, ils ont néanmoins contribué à faire évoluer la perception d’un aliment considéré jusqu’alors comme bénéfique pour la santé.
Scandales sanitaires et hausse des prix
D’autant que les recommandations des médecins ont, elles aussi, évolué. Alors que l’on recommandait il y a quelques décennies encore, de manger de la viande à chaque repas, on met aujourd’hui davantage l’accent sur la nécessité de manger des fruits et légumes variés. La viande, elle, fait l’objet, depuis les années 1980, d’alertes sanitaires pointant notamment son incidence négative sur le cholestérol. En 2015, l’Organisation mondiale de la santé a même établi un lien entre la consommation abusive de viande rouge et le déclenchement de certains cancers.
Mais, au-delà de cette question sanitaire, ce sont bien-sûr des questions économiques qui jouent dans cette baisse de la consommation de « matières carnées », comme les appellent poétiquement les chercheurs.
Ainsi, la hausse du prix des matières premières, depuis le milieu des années 1970, s’est répercutée sur le coût de l’alimentation animale, entraînant une explosion du prix de la viande. En 1992, il fallait débourser en moyenne 24 euros pour un kilo de boeuf, contre près de 39 euros en 2014, soit une augmentation de 64% en vingt ans.
Pourtant ce sont aujourd’hui les catégories populaires qui consomment le plus de viande. Et si cette consommation baisse pour l’ensemble de la population française, c’est toujours chez les ouvriers que l’on mange le plus de viande, avec 151 grammes consommés par jour en moyenne, contre 113 grammes chez les catégories les plus favorisées.
Contrôle alimentaire des classes populaires
Pour le sociologue Arnaud Frauenfelder, cette appétence pour la viande en milieu populaire n’a ainsi rien de naturel, mais a largement été construite, notamment au cours du XIXe siècle. Soupçonnés de manger mal ou insuffisamment, les classes populaires sont soumises selon le chercheur « à un contrôle alimentaire de plus en plus conséquent et intrusif ».
On convainc donc à cette époque les ouvriers de l’importance de consommer fréquemment de la viande et peu à peu, cette injonction sanitaire et alimentaire se transforme en signe social de « bien manger ». Comme l’explique l’enquête du Credoc, la consommation de viande reste un marqueur social fort. L’enquête explique ainsi « que l’on remarque chez de nombreux ouvriers, qu’il est inconcevable de faire un repas sans viande ».
Or les injonctions ont changé : il convient désormais de manger équilibré, diversifié, bio et responsable. Les catégories populaires, accusées par le passé de ne pas manger assez de viande, se retrouvent aujourd’hui soupçonnées de manger à la fois « trop », « trop gras » et « trop sucré ». Selon les mots du sociologue, « les classes populaires apparaissent comme les victimes toutes trouvées de la “malbouffe”, érigée en symbole pathogène de la société de consommation et de ses dérives ».
Mais il ne faut pas oublier que chez les classes populaires, aussi, la consommation de viande décroît. Et que si elles mangent moins bio, c’est que ces produits coûtent encore souvent trop cher. Les pouvoirs publics et les producteurs peuvent et doivent donc se saisir de cette évolution des pratiques afin de changer en profondeur les modes de production et de permettre aux Français, non pas de manger moins, mais bien de manger mieux.
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