Le marché du survivalisme, prêt pour l’apocalypse économique

Les affaires que Molly Ansen a utilisé pour survivre lors de l'émission de télévision "Naked and Afraid" sur Discovery Channel
Les affaires que Molly Ansen a utilisé pour survivre lors de l'émission de télévision "Naked and Afraid" sur Discovery Channel ©Getty - Helen H. Richardson
Les affaires que Molly Ansen a utilisé pour survivre lors de l'émission de télévision "Naked and Afraid" sur Discovery Channel ©Getty - Helen H. Richardson
Les affaires que Molly Ansen a utilisé pour survivre lors de l'émission de télévision "Naked and Afraid" sur Discovery Channel ©Getty - Helen H. Richardson
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Demain s'ouvrira à Paris le deuxième salon du survivalisme. De la nourriture sous vide aux stages de survie, la crainte des catastrophes est devenue un marché. Paradoxalement, le marché parvient à se nourrir de la peur de son propre effondrement...

Les survivalistes se préparent à affronter des cataclysmes. Et à partir de demain, ils tiendront à Paris leur salon. Autour de la peur des catastrophes, c'est tout un marché qui s’est mis en place, d’abord aux Etats-Unis et désormais en France : rations de nourriture, matériel médical, gilets par balle et stages de survie, mais aussi livres, jeux vidéo et même désormais un magazine, qui tire à plus de 30 000 exemplaires. On peut y apprendre à construire sa "BAD", ou "base autonome durable", le logement dans lequel se réfugier pour survivre en cas de crise. En France, entre 100 000 et 150 000 personnes font partie de la communauté survivaliste sur les réseaux sociaux. Il y a donc bien, en matière de survie, un marché.

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C’est la deuxième fois que le salon du survivalisme se tient en France. Beaucoup de grandes enseignes commerciales y sont associées, ainsi que l'année dernière l’armée, qui devait y voir une possibilité de recrutement. Le salon a été créé par trois anciens étudiants en école de commerce, qui disaient au journal Le Monde vouloir rompre avec la caricature du survivaliste "terré dans son bunker". 

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Car désormais, leur mot d’ordre, c’est celui d’autonomie. La crainte sur laquelle repose le survivalisme est en effet devenue économique. Peu à peu, la peur apocalyptique ou nucléaire est devenue une peur du système de marché. Quand le mot "survivaliste" est apparu aux Etats-Unis dans les années 60, il désignait plutôt des gens terrifiés par le communisme et la menace nucléaire, d’où cette image du survivaliste empilant des boîtes de conserve dans un abri antiatomique. Or le sociologue Bertrand Vidal explique dans la revue Uzbek et Rika qu’aujourd’hui, et surtout depuis la crise financière de 2008, la peur est devenue économique et écologique. Pour la plupart des survivalistes français, il s’agit désormais d’anticiper l’effondrement de notre système, et d’apprendre à vivre en autonomie, en dehors du marché, et même dans un certain retour à la nature. 

Un marché qui vend les outils pour affronter à sa fin

En attendant, la culture de consommation perdure. Bertrand Vidal raconte même que "sur certains forums, on se demande quelle serait la meilleure cigarette électronique pour l'après-effondrement." D’ailleurs, les stages de survie sont aussi vendus aux entreprises pour encourager l’esprit d’équipe de leurs salariés. 

Il faut dire toutefois que certains survivalistes boycottent le salon justement pour son aspect commercial. Tous ne sont pas d’accord. Et de façon générale le survivalisme regroupe des tendances très différentes, de l’extrême gauche anarchiste et anti-productiviste à l’extrême droite xénophobe et libertarienne. 

L’année dernière au salon, la présence de Piero San Giorgio, un proche des milieux d’extrême droite, avait embarrassé. Il venait vendre le livre dans lequel il théorise un effondrement économique menant à une guerre généralisée, livre dont il a republié une "édition de combat" avec une couverture "moins fragile" que l’édition précédente.

Aux Etats-Unis : survivre de l'extrême droite à la Silicon Valley

La tendance survivaliste d’extrême droite est celle qui domine aux Etats-Unis, où le marché du survivalisme est encore bien plus développé qu’en France. Le directeur d’une marque de matériel de survie expliquait par exemple au New York Times que ses ventes avaient ralenti après l’élection de Donald Trump, car dit-il c’est "quand les démocrates sont au pouvoir, que la droite panique".

Mais la Silicon Valley se prépare elle aussi à l’effondrement. C’est un reportage du New Yorker qui le racontait : les milliardaires de la technologie se préparent à la fin du monde. Le cofondateur du réseau social Reddit explique s’être fait opérer des yeux pour survivre plus facilement, et Reid Hoffman de LinkedIn veut acheter une maison en Nouvelle-Zélande pour s’y réfugier. Il estime aussi que la moitié des milliardaires de la technologie se sont fait construire un abri. Ce qu’il y a d’intéressant, c’est que ce que beaucoup craignent, explique le New Yorker, c’est le chaos qui serait créé par une révolte du pays contre eux-mêmes, contre la Silicon Valley, notamment après que l’intelligence artificielle aura remplacé de nombreux emplois.

Ces milliardaires se préparent donc, paradoxalement, à l’effondrement du modèle dont ils sont eux-mêmes arrivés au sommet, espérant après l’apocalypse économique demeurer les premiers.

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