L'urbaniste et philosophe, Paul Virilio, développe une théorie critique de la vitesse qui nous permet de comprendre les complexités et les dérèglements du monde actuel.
Alors que nous évoquions à l’instant la fascination du politique et des industriels pour la vitesse, objet fantasmagorique de puissance et de modernité, il était important de rendre hommage à celui qui fut l’un de ses principaux penseurs et critiques : l’urbaniste et philosophe Paul Virilio.
Décédé le mois dernier à l’âge de 86 ans, il avait consacré une partie de sa vie et de son œuvre à l’étude de cette vitesse, omniprésente, omnipotente, sur nos vies sociales, économiques et politiques. Il étudie ainsi ces questions dans son ouvrage Vitesse et Politique : essai de dromologie, publié en 1977, dans lequel il réfléchit à l’accélération du monde.
Il explique ainsi que la multiplication des technologies de transport et de communication, ces modes de transmissions instantanées, “réduisent, je cite, le monde à rien ». Les territoires sont saturés de technologies qui permettent de le parcourir et de le contrôler, du minitel au TGV, de l’avion à internet. En mettant Paris à deux heures de Lyon et, peut-être, bientôt à deux heures de New-York, l’homme a opéré une réduction de l’espace et du temps, un « rapetissement du monde ».
Une transformation qui ne va pas sans poser de nouveaux problèmescar cette vitesse « infiniment élastique » a une incidence politique sur les personnes qui la subissent ou au contraire qui en profitent. Elle crée une nouvelle forme de distinction, instaure de nouvelles frontières, dérégule les écarts géographiques. En déformant le territoire, elle laisse de côté, toute une partie de la carte, reléguée à la vitesse moyenne et aux subventions résiduelles.
Cette déformation de l’espace et du temps, passe non seulement par l’aménagement du territoire et de nouveaux modes de transports mais aussi par une série de dispositifs d’accélération du réel, tels qu’internet et les réseaux sociaux, qui débouchent, selon Virilio, sur une mondialisation des affects.
Après un phénomène de standardisation des opinions, lié à la toute-puissance de la télévision, nous sommes passés à une forme de synchronisation des émotions. Les grands-messes cathodiques et politiques sont renversés par une succession d’effets de foule, d’élans collectifs de peur, de joie ou d’indignation. La vitesse a colonisé jusqu’à nos modes d’information et de communication.
Un « individualisme de masse » qui conduirait inévitablement à une forme de gouvernement par la peur. Porté par l’essor des bulles informationnelles, éphémères et trompeuses, la vitesse participe de cet affolement général et produit un nouveau contrôle social par la peur.
Sur le plan économique, la multiplication des flux de capitaux, de marchandises et d’informations dérèglent notre société et conduisent à une panique, un affolement général, dont la crise financière de 2008 fut la dernière manifestation.
Devant ces déséquilibres croissants, qui amoindrissent l’espace de la réflexion et de la décision, les gouvernements s’agitent mais se retrouvent irrémédiablement impuissants.
Face à cela, le philosophe nous propose la création d’un ministère du Temps. Tout simplement. Cette proposition, aux frontières du poétique, permettrait selon Virilio de gérer non seulement le temps qui passe, mais aussi le temps qu’il faut et le temps qu’il fait. Une grande instance d’encadrement de la durée et du moment.
Une administration qui redonnerait au politique la puissance d’agir et permettrait une reprise en main du réel par le contrôle des flux : des agitations de la finance, aux déséquilibres de l’aménagement du territoire.
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