Suppression de l'ISF : l'introuvable justification

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La suppression de l'ISF est justifiée par l'effet positif qu'elle aurait sur l'économie, en incitant les plus riches à investir dans l'économie productive. Or cette mesure repose sur des logiques et une théorie, dite du ruissellement, largement contestée par les économistes eux-mêmes.

Dès le début de son quinquennat, le président Macron a fait le choix de supprimer cette taxe sur le patrimoine concernant les personnes possédant une fortune supérieure à 1,3 million d’euros. 

La logique est simple : pour redynamiser l’activité économique, le Président nouvellement élu, entend relancer l’investissement productif. Il décide pour cela de sortir du calcul de l’ISF toutes les « actions, parts et titres d’entreprises » ne conservant que les éléments de propriété immobilière, titres non productifs.

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Car l’ISF aurait pour conséquence malheureuse d’entraîner le départ des plus grosses fortunes hors de France. Ces piliers de l’économie qui, en quittant notre douce France, emportent avec armes et bagages, capital et investissements potentiels. Dans une tribune au journal Les Echos, le ministre des finances Bruno Le Maire, expliquait ainsi, je cite, que « surtaxer le capital ne conduisait pas à plus de justice fiscale, mais à plus de départ des investisseurs et des créateurs de richesse ». 

Autant d’argent qui ne serait donc pas investi dans l’économie et ne permettrait pas d’enclencher le cercle vertueux de l’investissement, de la croissance et de l’emploi. Autant d’argent qui ne serait pas non plus utilisé pour financer notre bon système social.

Sur le papier, ces arguments semblent donc imparables et ceux qui continuent de se plaindre ne seraient que des gaulois mal lunés, qui ne comprennent pas que cette décision a été prise pour leur bien.

Pourtant ces justifications économiques et pratiques sont loin de faire l’unanimité. Elles sont même catégoriquement remises en causes par un certain nombre d’institutions, économistes ou experts des questions fiscales. A commencer par la direction générale des finances publiques, qui dépend justement du ministère de l’économie et des finances. 

Si bien-sûr l’administration centrale n’émet pas d’avis politique sur la question, elle rappelle néanmoins dans un rapport que les exilés fiscaux représentent officiellement...0,2% des personnes assujetties à l’ISF. Pas exactement la grande évasion dont on nous parlait donc. 

D’autant que, comme nous le rappelle l’économiste Thomas Piketty, les recettes de l’ISF ont été multipliées par quatre entre 1990 et 2017. Avec la réforme du gouvernement, le manque à gagner approche les 3 milliards d'euros par an. La preuve que cette taxe continue d’avoir une pertinence et un intérêt, au-delà des quelques centaines de contribuables qu’elle poussait effectivement à l’exil. 

Mais, au-delà de ces raisonnements pratiques, c’est la philosophie même de la mesure qui est remise en cause. Il est en effet curieux de s’échiner à supprimer une taxe pour s’assurer que les contribuables les plus riches paient bien leurs impôts en France. Mais on peut aussi interroger l’évidence selon laquelle la suppression de l’ISF aurait une incidence forcément positive sur l’ensemble de l’économie française.

Elle repose en effet sur la fameuse théorie du ruissellement, jamais explicitement démontrée, mais toujours présente dans l’esprit de nos dirigeants. Bien que celle-ci ne relève d’aucun travail universitaire, ni de la moindre démonstration économique, l’idée selon laquelle l’enrichissement des plus riches contribuerait à l’enrichissement de tous, continue de légitimer les politiques économiques mises en oeuvre depuis plus de trente ans. 

On peut donc y voir une forme d’émancipation du pouvoir politique des simples logiques économiques. Nous parlions au cours de cette émission du poids qu’a pris l’économie, comme science d’autorité, dans les différentes sphères de la société. Mais ce qui est fascinant ici, c’est que cette théorie n’est fondée sur aucun élément pratique. Des travaux universitaires ayant même formellement démontré l’inverse. 

Mais si personne ne se revendique explicitement de cette théorie du ruissellement, c’est pourtant bien elle qui est à l’oeuvre lorsque le gouvernement décide de favoriser les premiers de cordée pour le bien de toute la communauté.

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