Aime Césaire : "Les problèmes de l’Afrique sont vitaux et presque plus importants pour moi que les problèmes personnels de la vie et de la mort"

L'écrivain, poète et homme politique antillais Aimé Césaire, en 1970, à Paris.
L'écrivain, poète et homme politique antillais Aimé Césaire, en 1970, à Paris. ©AFP - Afp
L'écrivain, poète et homme politique antillais Aimé Césaire, en 1970, à Paris. ©AFP - Afp
L'écrivain, poète et homme politique antillais Aimé Césaire, en 1970, à Paris. ©AFP - Afp
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Dans "Au cours de ces instants - Aime Césaire et la révolte", le poète et homme politique Antillais s'exprimait sur son enfance, le colonialisme, son oeuvre poétique, sa vision de l'Afrique et de l'Europe. Un entretien avec José Pivin diffusé la première fois le 30 janvier 1966.

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Aimé Césaire, en 1966, s'entretenait avec José Pivin. Il évoque son village natal, son enfance, le milieu colonial :

Je suis né dans un petit village du nord de la Martinique qui s’appelle Basse Pointe et je dois dire que cette image de mon village natal a une très grande importance dans mon œuvre. On y trouve des images obsédantes, des métaphores : la source en est ce petit village où je suis né.

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Il explique comment ce village a imprégné d'images sa poésie :

Il y a avait une population mixte de pêcheurs et de paysans, à l’époque on y fabriquait du sucre et du rhum, il y avait toute une population typique de la Martinique. Mes parents étaient petits fonctionnaires mais j’ai été très mêlé à la vie des travailleurs de l’endroit […] 

Dans ma poésie je fais allusion à des troupeaux de bœufs, ou alors à ces immenses champs de canne. Quand j’ai voulu évoquer l’image de la race noire qui, malgré toutes les difficultés, conserve la tête hors de l’eau, avec une image de la vitalité, de la combativité de ce groupe d’hommes, tout naturellement j’ai été amené à évoquer l’image des enfants nus qui chevauchent des vagues énormes de douze ou treize mètres sur une simple planche… et l'enfant disparait complétement au moment où on s'y attend le moins, on voit une petite tête noire au somment de la vague bleue, il franchit l'écume... Voilà des images qui reviennent assez souvent chez moi.

Il revient sur l'organisation au village autour du pouvoir des Békés : 

Dans mon idée le village a toujours été dominé par le trio : le gendarme, le curé, et le colon que l’on appelle là-bas le Béké. C'est le créole, le blanc qui est né aux Antilles. Dans le village il y avait trois blancs qui vraiment formaient l'aristocratie. J'ai perçu cela très tôt, cela m'a ouvert les yeux sur une certaine réalité. Je me rendais compte de la terreur dans laquelle les villageois vivaient, de l'importance que cela avait d'être bien ou d'être mal avec le colon, parce que c'est de lui dont dépendait la vie. Le patron de l’usine "le grand Béqué" c'était un être presque mythique, c'était vraiment le seigneur …

Il analyse le lien entre les Antilles et l'Afrique et le drame de l'homme martiniquais qui nie son identité africaine : 

Le peuple antillais ne peut se comprendre dans sa singularité et son originalité que si vraiment on tient compte de l’énorme et décisif apport africain.

Il expliquait sa révolte, son arrivée à Paris, ses études, ses débuts littéraires : 

La révolte a joué un très grand rôle, vraiment le ressort poétique a été d’abord la révolte contre cette médiocrité, contre cette oppression dont je discernais mal les causes, cette religion… J’avais vraiment besoin de faire sauter un petit peu cette carapace, j’avais l’impression d’être étouffé. 

Il évoque les lectures marquantes de sa jeunesse, Lautréamont et Rimbaud, puis il raconte la création de sa revue Tropiques, sa rencontre avec André Breton :  

Le Surréalisme était une tentative de l’esprit européen pour rejoindre l’esprit non-européen. 

Enfin il raconte comment il est devenu un homme politique, puis sa vision du français et du créole, et comment sa vie en somme, se confondait avec la cause de l'Afrique et des Antilles : 

J’ai toujours voulu, même en écrivant en français qui est une langue qui est très belle, et que j’aime passionnément -un magnifique instrument- j’ai toujours voulu plier cette langue et la contraindre à exprimer ma personnalité. Au fond qu’est-ce qu’on fait tous les grands poètes français depuis Rimbaud ? Ils ont refait la langue pour l’accommoder à leur sensibilité personnelle.

Il termine en évoquant l'Afrique : 

Mes obsessions sont plus collectives que personnelles […] Les problèmes de l’Afrique sont vitaux et presque plus importants pour moi que les problèmes personnels de la vie et de la mort. 

Les Nuits de France Culture
1h 05
  • Par José Pivin - Avec Aime Césaire
  • Au cours de ces instants - Aime Césaire et la révolte (1ère diffusion : 30/01/1966)
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