Épisode 6/9 : Benoîte Groult : "Grâce au MLF les femmes ont compris qu'elles avaient des intérêts communs"

Féminisme ou lutte de femmes ? C'est sous ce titre que Roger Pillaudin organisait un débat public à la fin de l'année 1975, consacrée "Année de la femme". Il a convié à ce débat Antoinette Fouque co-fondatrice du Mouvement de libération des femmes et l'écrivaine Benoîte Groult. Ces deux figures pour les droits des femmes, expriment ici deux conceptions de l’évolution de la condition des femmes.

Antoinette Fouque, née en 1936 à Marseille, a été enseignante puis, après une analyse avec Lacan, psychanalyste. Au sein du M.L.F, elle anime le groupe "Psychanalyse et politique", surnommé "Psyképo". Elle déclare son refus d’adhérer à toute forme d’idéologie en "-isme", y compris, au féminisme : "Aucun "isme" ne me séduit, ni le trotskisme, ni le marxisme, ni le féminisme, ni le socialisme (...). J'ai cité en exemple exprès des "ismes" à gauche, j'ai laissé de côté bien sûr : franquisme, fascisme, car de cela, bien sûr, personne ne veut."

L’autre, Benoîte Groult, née en 1920 dans une famille de la bourgeoisie parisienne, avait passé l'année 1975 à dénoncer l’excision dans un roman devenu best-seller, Ainsi soit-elle. Elle se montre plus sensible à l’isolement des femmes dans leur vie quotidienne, au sein du foyer et du couple.

Le féminisme, une idéologie totalisante et globalisante ?

Antoinette Fouque revendique sa liberté de pensée, et déclare voir dans le féminisme "une idéologie totalisante,  globalisante" : "Peut-on être une femme en lutte et radicalement antiféministe ? Je crois que c’est possible puisque c’est ma position. Les féministes disent elles même qu’elles ne veulent aucun modèle". Elle souligne : "Je me suis aperçue que je pouvais être opprimée par l’idéologie féministe."

Benoîte Groult souligne, quant à elle, la prise de conscience des femmes : "Longtemps, les femmes ont cru que leurs problèmes étaient individuels. Grâce au MLF, elles ont compris qu’il y avait un problème féminin en dehors de tous les autres, qu’elles avaient des intérêts communs, et que si elles ne les prenaient pas en mains, ce n'étaient pas les hommes qui viendraient les défendre. Il me semble que c’est cela, la grande nouveauté : les femmes sortent de leur isolement."

Le MLF a permis aux femmes de sortir de leur isolement

A propos de la représentation des militantes féministes dans les médias, en prenant l'exemple de l'Américaine  Kate Millett, Benoîte Groult interroge : "Vous ne croyez pas qu'il y a une espèce de campagne qui consiste à montrer les féministes comme des numéros exceptionnels ou comme des hystériques, des femmes frustrées, des mégères ? Ce qu'il faudrait, c'est montrer des femmes comme les autres qui ont envie de se battre."

Antoinette Fouque constate que ce débat proposé par Roger Pillaudin est une "rare occasion pour les femmes de parler en liberté à la radio" : "Les émissions à la radio et à la télévision sont un Moulinex de la femme. C’est-à-dire qu’on est passées au presse-purée, c’est très subtil, c’est très sournois, mais de fait on n’arrive à rien dire de ce qu’on a à dire."

Dans la seconde partie de l'émission les deux invitées répondent avec humour aux questions du public.

• Par Roger Pillaudin
• Dialogues - Féminisme ou luttes de femmes ? (1ère diffusion : 17/2/1976)
• Edition web : Véronique Vecten, Sandrine England, Documentation  de Radio France
• Archive Ina-Radio France