Georges-Albert Astre : "La Guerre de Sécession est présente aujourd’hui au cœur de chaque Américain, une tragédie au milieu d’un rêve édénique"

Première lecture de la proclamation d'émancipation du président Lincoln, le 22 juillet 1862, devant les membres de son cabinet, qui accorde la liberté aux esclaves dans dix Etats en rébellion contre l'Union.
Première lecture de la proclamation d'émancipation du président Lincoln, le 22 juillet 1862, devant les membres de son cabinet, qui accorde la liberté aux esclaves dans dix Etats en rébellion contre l'Union.  - Peinture de Francis Bicknell Carpenter (1864)
Première lecture de la proclamation d'émancipation du président Lincoln, le 22 juillet 1862, devant les membres de son cabinet, qui accorde la liberté aux esclaves dans dix Etats en rébellion contre l'Union. - Peinture de Francis Bicknell Carpenter (1864)
Première lecture de la proclamation d'émancipation du président Lincoln, le 22 juillet 1862, devant les membres de son cabinet, qui accorde la liberté aux esclaves dans dix Etats en rébellion contre l'Union. - Peinture de Francis Bicknell Carpenter (1864)
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En 1965, un numéro d'"Analyse spectrale de l'Occident" rappelait les causes et les enjeux de cette confrontation fratricide sanglante. Des spécialistes en histoire, littérature, cinéma et musique analysaient la place et l'influence de la Guerre de Sécession dans la culture américaine.

Nord-Sud… C'était dans les années 50/60 l'un des plus fameux sketches du très populaire duo que formaient Roger Pierre et Jean-Marc Thibault. "La Guerre de Sécession a cessé c'est sûr"… la formule est longtemps restée célèbre. Les "U.S Go Home" fleurissaient alors sur les murs de nos villes et l'on pouvait, sans risque de choquer, prendre à la blague, comme une guerre d'opérette parmi d'autres, ce conflit lointain dont la réalité tragique se confondait à la multitude de ses versions hollywoodiennes.

Cette guerre civile américaine, Guerre de Sécession, n'avait rien eu pourtant d'une plaisanterie. De toutes les guerres que connurent les États-Unis d'Amérique elle fut très nettement la plus meurtrière pour sa population : plus de 600.000 victimes pour un pays qui ne comptait alors que 31 millions d'habitants. 

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Dans la première partie de l'émission, l’historien René Rémond retrace les causes et circonstances de la guerre civile américaine qui s’est déroulée de 1961 à 1965 entre les États du Nord et ceux du Sud. Il évoque ce qui les opposait : la question de l’abolition de l’esclavage mais aussi le désir de rallier à leur cause les États de l’Ouest. Les États du Sud ont besoin de main d’œuvre pour la culture du coton. Les modèles économiques du Nord et du Sud sont opposés, le Nord est protectionniste, tandis que le Sud souhaite le libre-échange avec l’Europe, notamment avec l’Angleterre qui achète son coton.

Les compromis de 1820 et 1850 ne suffisent pas à apaiser les deux camps que tout oppose.
En 1860, Abraham Lincoln, avocat originaire de l’Ouest, est élu avec une majorité relative, en tant que représentant du parti Républicain. C’est le point de départ de la sécession de sept, puis onze États, qui vont créer une capitale confédérale à Richmond. En avril 1861, les sudistes bombardent une forteresse fédérale. La guerre civile est alors déclarée. Les États de l'Ouest vont se ranger aux côtés des États du Nord.

Comme l’exprimait le philosophe Jacques Maritain : "L’esclavage est une écharde dans la chair de la Nation américaine."

Dans un deuxième temps, Georges-Albert Astre, professeur à l'IDHEC, s’attachait à analyser l’influence de la Guerre de Sécession sur la littérature américaine. Il cite William Faulkner mais aussi, moins connu, Stephen Crane, qu'il juge grand écrivain. Né en 1871, fils de pasteur du New Jersey, l'homme est bohème, et révolté. Il écrit, 25 ans après la guerre, un roman aux "accents stendhaliens" intitulé The Red Badge of Courage.

Son livre annonce directement les écrivains modernes. Je dois dire que ce livre, qui est traduit en français sous le titre 'La Conquête du courage', était le livre favori d’Ernest Hemingway, qui lui dût beaucoup notamment à l’époque où il écrivait 'L’Adieu aux armes'.

Roger Asselineau, professeur de littérature et civilisation américaine à la Sorbonne, analyse le parcours de Walt Whitman, écrivain et journaliste pacifiste.

Mais si grand que pouvait être son pouvoir de sympathie, les combats n’étaient pour lui que des abstractions sans réalité, qui ne l’affectaient pas profondément. On n’imagine pas la guerre, il faut la voir. Il en eut bientôt l’occasion, son frère Georges est blessé.

Walt Whitman rejoint son frère blessé de guerre et partage la vie des soldats dans les hôpitaux.

Cette rencontre accidentelle avec la guerre changea le cours de sa vie.(...) Il souhaite arrêter la guerre, pris de pitié pour les jeunes soldats. Mais sa foi dans la démocratie lui fait reprendre le soutien à la guerre. 

Henri Agel, professeur de lettres et de cinéma, évoque la spécificité du cinéma américain, citant les films de D.W. Griffith, Michael Curtis ou John Ford.

La guerre de Sécession a provoqué chez les Américains une sorte de besoin de purification.(...) c’est un peu pour l’Amérique une plaie à panser, un bilan à établir et en somme un futur à ménager.

Le désir de faire connaitre et faire aimer une humanité qui se battait pour un idéal. N’oublions pas que pour les Américains cette Guerre de Sécession a été à la fois leur chanson de Roland, leur guerre de religions, leur Révolution française, leur épopée napoléonienne et leur Résistance de 1940. En tout cas l’unité de ces divers éléments, qui peuvent sembler disparates, l’unité est donnée par le sens du mouvement, par le sens du rythme.

René Gauthier, critique musical, analyse la naissance des Negro Spirituals. 

Les Negro Spirituals, nés pour la plupart dans la première partie du siècle, n’étaient guère connus avant la Guerre de Sécession. Une musique issue de deux mondes et de deux races.

René Rémond évoque la naissance d'un changement dans les conditions de vie des Noirs après l’abolition de l’esclavage en 1863 par le président Abraham Lincoln. L’inégalité et la ségrégation raciale concernent, dès lors, tout le pays : Nord et Sud.

La rediffusion de cette émission de février 1965, consacrée à la Guerre de Sécession, donne l'occasion de réentendre l'historien René Rémond et, pour les cinéphiles, de découvrir la voix d'Henri Agel, un professeur de lettres et de cinéma qui a compté dans l'histoire du 7ème art, par l'influence profonde qu'il exerça dans ses cours et dans le Ciné-Club qu'il animait au Lycée Voltaire. Parmi eux on peut citer Serge Daney, Claude Miller, Jacques Doillon et Alain Corneau. 

  • Par Stanislas Fumet 
  • Avec René Rémond (historien), Georges-Albert Astre (professeur à l'IDHEC), Roger Asselineau (professeur de littérature et civilisation américaine à la Sorbonne), Henri Agel (professeur à l'IDHEC) et André Gauthier (critique musical) - Lectures René Farabet. Extrait de "Sud" de Julien Green, interprétation Claude Génia, Michel Etcheverry et Françoise Godde
  • Analyse   spectrale de l'Occident - La Guerre de Sécession : 1861-1865 (1ère diffusion   : 20/02/1965)
  • Indexation web : Véronique Vecten, Documentation sonore de Radio France
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