Pierre Bourdieu : "Le musée est important pour ceux qui y vont dans la mesure où il leur permet de se distinguer de ceux qui n'y vont pas"

Pierre Bourdieu, sociologue, en 1982.
Pierre Bourdieu, sociologue, en 1982. ©AFP -  Ulf Andersen / Aurimages
Pierre Bourdieu, sociologue, en 1982. ©AFP - Ulf Andersen / Aurimages
Pierre Bourdieu, sociologue, en 1982. ©AFP - Ulf Andersen / Aurimages
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Le 21 février 1972, pour ouvrir une série d’émissions intitulée "Musées d’aujourd’hui et de demain", Jocelyn de Noblet recevait Pierre Bourdieu, qui exposait le cadre, les conclusions et les enjeux de cette passionnante étude sur la fréquentation des musées et sa signification sociale.

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En 1966, paraissait aux éditions de Minuit une étude de Pierre Bourdieu et Alain Darbel intitulée L’amour de l’art. Les musées d’art européen et leur public. Basée sur une série d’enquêtes, le propos en était résumé en ces termes dans la conclusion :

Si l’amour de l’art est bien la marque de l’élection séparant, comme par une barrière invisible et infranchissable, ceux qui en sont touchés de ceux qui n’ont pas reçu cette grâce, on comprend que les musées trahissent, dans les moindres détails de leur morphologie et de leur organisation, leur fonction véritable, qui est de renforcer chez les uns le sentiment d’appartenance et chez les autres le sentiment de l’exclusion . 

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Comme le résumaient avec humour les auteurs sur la quatrième de couverture, «Sans craindre de manquer au bon goût, ce livre prétend(ait) (ainsi) soumettre le bon goût à la rigueur de l’examen scientifique".  

Pierre Bourdieu au début de cet entretien avec Jocelyn de Noblet expliquait ceci sur les personnes qui fréquentaient, ou pas, les musées :

On voit à l'évidence que les gens ne voient que ce qu'ils savent qu'ils peuvent voir. Au fond, dans les enquêtes que nous avons faites, nous avons essayé d'une part de déterminer qui pouvait voir, qui accédait finalement aux œuvres d'art et qui, accédant aux œuvres d'art, savaient les voir. Et on voit que ce sont les mêmes qui savent voir et qui vont voir. Autrement dit pour aller au musée il faut avoir la possibilité de "voir". 

Il analysait en profondeur, et sans concession, le processus d'exclusion et d'auto-exclusion :  

Les gens qui ne vont pas au musée sont des gens qui s'éliminent de la fréquentation du musée, non pas parce qu'ils ne sont pas doués et non pas parce qu'ils n'ont pas cette grâce que s'attribuent ceux qui vont au musée, mais parce qu'ils n'ont pas appris à regarder les œuvres d'art. Là aussi nous réglons son compte à une illusion très répandue parmi les privilégiés de la culture, l'illusion que la culture, paradoxalement, pourrait être quelque chose d'inné. En réalité l'art de voir est quelque chose d'acquis. Je crois qu'une des fonctions du musée, objective, c'est précisément d'être quelque chose où tout le monde peut aller et où seuls quelques-uns vont. Le musée est important pour ceux qui y vont dans la mesure où il leur permet de se distinguer de ceux qui n'y vont pas. 

  • Production : Jocelyn de Noblet
  • Musées d’aujourd’hui et de demain - Pierre Bourdieu 
  • 1ère diffusion : 21/02/1972
  • Indexation  web : Sandrine England, Documentation sonore de Radio France
  • Archive Ina-Radio France

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