Attendre le jour ensemble dans la même pièce : "Kommunalka" par Françoise Huguier

France Culture
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Où il sera question d'un espace commun, d'une odalisque debout, de rancoeurs de province, des idées des écrivains, du futur de l'Irlande, de la future Bill Gates afghane et du retour du printemps.

Il y a des corps que l’on croise et qu’on ne peut pas ne pas voir. On ne les connaîtra jamais vraiment mais on les verra toujours, tous les jours. Dans des positions quotidiennes, dans des gestes personnels, dans une intimité qu’on ne partagera pas. C’est un appartement communautaire. Quelque part à Saint Petersbourg. Ce sont de grands espaces, sombres, dans lesquels on se dit que les saisons doivent avoir cessé d’exister. On y croise des corps nus, des corps qui tentent de coexister, entre une chambre et une salle de bains collective. Il y a aussi des nappes cirées à fleurs, des papiers peints à motifs, couleurs d’automne, qui se décollent parfois. Les fleurs sont partout. Un champ se déploie sur un mur en trompe l’œil, des roses rouges dans un vase, d’autres sur la tapisserie d’un fauteuil. Le parquet est trouble, des dalles de carrelage manquent sur le sol de la cuisine, là où un peu de vaisselle s’empile dans le triple-évier. Il y a dans ces photos parfois des sensations de chaleur caniculaire, et d’autres, d’humidité. Par la fenêtre on ne voit que la couleur neutre du ciel. Et à l’intérieur, on ne voit pas toujours d’où peut venir la lumière. Des visages endormis, invisibles. D’autres regards comme en eux-mêmes. Puisqu’on ne peut pas avoir d’espace à soi, il faut le créer en soi. Ce sont des lieux qui nous font entendre leur silence. Il y a dans une salle de bains, aux carreaux blancs et bleus, parfois manquants, une femme de dos, debout dans un parterre d’eau. Elle nous donne son corps, voilé d’une très longue chevelure brune. Elle aurait pu poser pour un peintre du siècle dernier. Une odalisque debout. Dans une baignoire, le visage penché sur son pied qu’elle appuie sur le rebord. Sur le mur à côté d’elle un rideau de plastique rouge qui sert plus à protéger le mur de l’humidité, que son corps à elle d’éventuels regards. Il y a ici, celui de Françoise Huguier. La photographe qui vient de remporter le prix de la Saif (la société des auteurs des arts visuels et de l’image fixe) au concours des Photographies de l’année. Depuis 15 ans, Françoise Huguier retourne régulièrement dans ces appartements collectif en Russie, elle a même choisi, un temps d’y habiter. "Les personnage du roman russe que j’ai aimé sont toujours là" dit elle dans le documentaire qu’elle en a tiré. Les corps ici, peuvent vivre nus, dans l’eau d’un bain, sur un lit de coupures de journaux, sur un canapé trop petit. Ils vivent nus ou non. Mais ils vivent ensemble, sans se poser trop de questions, encore moins quand il s’agit de regards. La solitude, ils ne la trouveront pas dans une pièce.

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