Où il sera question d'un souvenir de Dario Fo, de l'évocation de la voix de Bob Dylan, de l'érotisme de la nourriture, de l'incertitude en Algérie, de vivre ensemble, d'avoir peur ensemble
L’image dont je vous parle ce matin c’est un souvenir, avec toutes les imprécisions, et les petits trous noirs que cela peut impliquer ; Mais qu’importe, l’image est là bien présente, et elle en porte plein d’autre en elle, à faire éclore. La salle Richelieu est vide, et plongée dans la pénombre. Il y a moins d’une dizaine de personnes sur les fauteuils un peu à l’écart, et ce lieu déjà vu, déjà un peu connu prend alors un autre visage. Sur la scène une femme que je ne connaissais pas alors, chevelure lourde et blonde, regard franc et noir, tee-shirt à manches longues et pantalon tout aussi noirs. Elle s’avance sur scène et me happe immédiatement. Quelques pas vifs, puis elle s’arrête un instant, un sourire entendu avec un public qui n’existe pas encore. "Mystère..." lâche-t-elle. Le mot reste en suspens. S’en suit une tirade et un débit de mitraillette, autour de ce mot "mystère", de ce qu’il implique ici sur cette scène, à travers ce texte de Dario Fo. Catherine Hiegel m’emmène avec elle, je suis toute entière à ses mots, et n’ai même pas le temps de le réaliser tout à fait qu’elle quitte déjà la scène. Je l’attends, j’attends ses mots, et les différents tableaux de Mystère bouffe, se succèdent, pendus au fil d’une metteuse en scène qui parfois interrompra le cours des choses pour ajuster un pas, un temps, une expression. Catherine Hiegel revient pour le dernier tableau, celui de la crucifixion. En Vierge Marie, révoltée, elle tente le tout pour le tout, négocie jusqu’à l’absurde auprès des gardes qui n’existent pas. elle suit du regard une ombre de croix, que l’on ne voit pas. Et très vite la force de ces mots, de ses larmes, nous font oublier, la dimension simplement christique de la scène, Nous font oublier jusqu’aux mots et ce qu’ils veulent dire ici. On voit juste sur la scène une femme en noire et sa douleur. Celle, universelle, d’une mère qui assiste à la mise à mort de son enfant sans ne rien pouvoir y faire. En ne le quittant pas des yeux. La femme regarde en l’air le haut de la croix invisible, et dit tout son amour une dernière fois à l’enfant et à l’homme qu’elle a tant aimé, et qu’elle a fait grandir. Cette femme, cette voix et ce texte. Mystère Bouffe. C’est l’image très personnelle donc et fragmentée d’une rencontre avec Dario Fo. Une image qui m’est revenue hier en lisant la nouvelle de sa disparition. Ma première rencontre avec cet auteur et à travers lui à travers sa comédienne, le souvenir d’un premier choc théâtral.
JUKEBOX
Il aurait été un peu facile et peut-être à ce stade un peu rébarbatif de vous faire écouter un titre de plus de Bob Dylan sur notre antenne. Alors j’ai choisi une chanson pour Bob Dylan de David Bowie, qui figure sur l’album Hunky Dory de 1971. Chanson pas très sympathique si on écoute bien les paroles. Dans celle de Bowie on entend par exemple que la voix de Bob Dylan est "comme un mélange de sable et de colle". Référence au commentaire de l’écrivaine Joyce Carol Oates qui a décrit sa première écoute de la voix de Dylan comme étant "une voix très jeune, vraisemblablement peu entraînée, franchement nasal comme si du papier de verre pouvait chanter, l’effet était à la fois dramatique et électrisant". Commentaires sur la voix du chanteur qui ont fusé hier sur les réseaux sociaux, notamment du côté de ses détracteurs. Rappelons tout de même à ces derniers qu’il s’agit d’un prix Nobel de littérature, même si cela aussi, en fait, peut demeurer sujet à polémique.
L'équipe
- Production
- Réalisation