Ils ont 20 ans. Sur la corniche Kennedy à Marseille, dès les beaux jours, les garçons jouent à se faire peur en sautant du haut des rochers. Un été entier, de plus en plus haut, ils mettent à l'épreuve leur courage. Un ancien "sauteur" raconte comment il s'est mis à sauter et ce qui a changé.
Sur la corniche Kennedy à Marseille, dès les beaux jours, les jeunes jouent à se faire peur en sautant du haut des rochers. Un été entier, de plus en plus haut, ils mettent à l'épreuve leur courage. Le défi du rocher est devenu un rituel, mais c'est aussi une métaphore de la vie avec son lot d'obstacles à franchir.
Tandis que ses amis sautent sans réfléchir, Othman a un peu peur de sauter.
Je vais sauter. J'attends de savoir si elle est bonne.
Tout le monde ne saute pas de la corniche, et même ceux qui sautent ne le font pas de la même hauteur, ni du même endroit. Ils ont l'air plutôt fiers au bord de la falaise, ils exagèrent, friment pour le plaisir de dire "cap", "je l'ai fait".
La dernière fois mon copain avait peur de sauter, il a vue une fille sauter devant lui et alors il y est allé.
Ils sautent de 4, 6, 8, 10, 15 mètres. Puis ils remontent, parfois avec difficulté.
Dépasser la peur, sentir cette boule dans le creux du ventre, et la joie lorsqu'elle disparait. Sauter du bord de la falaise directement dans la mer, le grand bain.
Dès qu'on a fait un saut, il faut faire tout un détour, remonter par la route, pour recommencer. La ville a mis un panneau pour interdire de sauter mais...II y en a qui vont sauter quand même. C'est le jeu.
La tradition estivale est de se retrouver ici, d'une part pour contrer la chaleur écrasante mais aussi pour faire quelque chose d'exceptionnel, quelque chose qu'on pourra raconter à la fin des vacances. Il suffit d'avoir un maillot de bain et des vieilles baskets. Ça ne coûte rien, mais ce n'est pas sans danger.
Il n'y a pas de prise donc dès qu'on se lève, on est obligé de sauter. La falaise est en pente, on ne voit pas la mer, seulement les rochers qui dépassent. Il faut prendre une impulsion pour sauter assez loin, sans savoir où on va retomber.
La peur n'est pas là pour rien, le danger est évident. Entre le vent, les rochers et la hauteur, se rater n'est pas une option.
Certains tentent le saut de l'ange. Il y a eu des morts quand même. Il faut faire attention. Mais on fait la queue pour pouvoir sauter.
Certains hésitent pendant de longues minutes avant de se raviser. Ils se toisent et se chambrent lorsque l'un d'eux finit par ne pas sauter.
Y a des jours, on est là, on se met devant et finalement on le sent pas. Et là c'est des moqueries. Il y a un peu de rivalité, la fierté de faire un beau plongeon.
C'est aussi pour ça qu'ils se viennent sur la corniche, pour se retrouver entre copains, épater les filles, affronter l'adversité, prendre des risques.
Au final, quand on a sauté on se dit "Pourquoi j'ai eu peur ? C'est génial !"
De génération en génération, les sauteurs se passent le relais. Les grands apprennent aux plus jeunes, et de fil en aiguille, certains arrêtent de sauter et se contentent de regarder les autres faire en bronzant au soleil.
Moi c'est ma mère qui m'a montré comment sauter. Elle sautait quand elle était petite. Elle m'a conseillé de ne pas faire de plongeons mais de sauter en frite, tout droit, parce que j'ai que douze ans !
1ère diffusion le 3/07/2014
Pour en savoir plus :
Le film de Dominique Cabrera, sorti le 18 janvier 2017, "Corniche Kennedy".
Chanson de fin : "Over the rainbow" par Luis - Album : Les plus belles reprises (2013) - Label : WM France.
- Reportage : Martine Abat
- Réalisation : Emmanuel Geoffroy (et Clémence Gross)
Merci à Rhaliba Bounzoul, Samir Benbrick, Anna Thillet, Louis et Sophie Barraud, Maylis de Kerangal, et tous les sauteurs de la corniche.
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