Isabel est vigneronne, Laetitia est rapporteure à la Cour des Comptes. Toutes deux arrivées en France quand elles étaient jeunes et élevées dans des conditions modestes, elles ont réussi dans des domaines où elles sont les seules femmes noires et où elles incarnent l’excellence française.
Laetitia : “Je voulais devenir blanche pour me faire intégrer”
Laetitia Helouet, quarante-sept ans, est née au Congo-Brazzaville et est arrivée en France à l’âge de cinq ans. Elle a grandi avec sa mère à Reims, dans une cité HLM.
“La différence, elle s'impose et on vous la fait sentir aussi. Donc moi, ma première ambition d'enfant, c'était être acceptée, avoir des amis. Je me disais même que j'allais devenir blanche, à force d'y croire, parce que c'était le moyen le plus simple de se faire intégrer.” Laetitia Helouet
Excellente élève, Laetitia rejoint le meilleur lycée de sa ville, et côtoie des camarades d’une classe sociale bien plus élevée que la sienne. “J’étais l’une des rares lycéennes noires de ce lycée huppé.” De nouveau, elle cherche à s’intégrer à tout prix. “J’ai eu le sentiment je devais essayer de ressembler aux autres.” “Toujours en alerte”, elle redoute de se “faire démasquer” et d’être “regardée comme une pauvre”.
En parallèle, Laetitia redouble d’efforts pour réussir ses études, encouragée par ses professeurs. Admise en prépa littéraire, elle prépare le concours de l’ENA, mais elle échoue, et réussit finalement celui d’administrateur territorial. Une dizaine d’années plus tard, après avoir travaillé en Seine-Saint-Denis, elle devient rapporteure à la Cour des Comptes, l'organe chargé de contrôler la régularité des comptes publics.
“Le profil majoritaire, ce n’est pas une jeune femme noire qui a grandi dans un milieu très populaire, voire pauvre. Quand j’arrive à la Cour des Comptes, j’étais la seule femme noire dans tous les corps des magistrats et des rapporteurs.” Laetitia Helouet
Régulièrement, lorsque de nouveaux interlocuteurs la rencontrent, ils sont surpris par son apparence. Consciente de ne pas correspondre à la norme, Laetitia regrette qu’il n’y ait pas plus de diversité parmi ses collègues.
“Je m'appelle Laetitia. Je pense que si j'avais eu un prénom beaucoup plus marqué, ma trajectoire aurait sans doute été plus compliquée. Avoir un prénom directement assimilable à la culture française, ça rend les choses plus simples et plus fluides. Je le regrette, évidemment, mais c'est le constat que je fais.” Laetitia Helouet
Isabel, la seule vigneronne africaine de France
Isabel Cardoso-Fonquerle est née en Guinée-Bissau, et est arrivée en France à ses dix-sept ans. Si aujourd’hui elle considère la France comme “sa mère d’adoption”, ses premiers pas à Paris n’ont pas été faciles. Son CV est refusé dans plusieurs grands magasins, au point qu’elle décide de ne plus y faire figurer sa photo.
“J'avais entendu à la télé un débat : ils disaient que parfois on jugeait les gens par rapport à leur couleur de peau. Et ça m'avait choquée.” Isabel Cardoso-Fonquerle
Elle envoie un CV sans photo, et finit par être embauchée aux Galeries Lafayette Gourmet, où elle s’entend bien avec l’équipe comme avec les clients. A tel point que quelques mois plus tard, son directeur lui propose de rejoindre l’équipe des sommeliers de la cave à vin des Galeries Lafayette.
“Je me suis sentie privilégiée. C’était quand même incroyable qu’on pense à moi !” Isabel Cardoso-Fonquerle
Isabel découvre le vocabulaire du vin et plonge dans un univers qui la passionne immédiatement. En 2002, elle décide de passer un diplôme pour devenir vigneronne, et acquiert son propre domaine dans le Languedoc.
“Le vin est super complexe, on en apprend chaque année. C'est très dur, surtout quand on est seule presque à 80% à la vinification, à l'élevage, aux échantillons, à la préparation des commandes, à l'administratif, au commercial… Je suis partout à la fois.” Isabel Cardoso-Fonquerle
D’autant plus qu’en tant qu’unique femme noire parmi ses collègues, elle a dû faire face à une hostilité certaine. Vignes brûlées, dégradations, remarques racistes, regards insistants… Isabel ne cède pas : “Je sais remettre les gens à leur place”, affirme-t-elle, préférant à l'agressivité une attitude "diplomatique, mais ferme".
“Pour moi, le plus important, c’est mon travail, pas ma couleur de peau. Je n’accepte pas que les gens me manquent de respect ou m’agressent sur mon lieu de travail, soit parce que je suis noire, soit parce que je suis une femme. J’ai ce double problème.” Isabel Cardoso-Fonquerle
Aujourd’hui, Isabel est fière de perpétuer “le savoir-faire français” sur son domaine de huit hectares, le domaine de l'Oustal Blanc, où elle pratique une agriculture bio et naturelle.
Merci à Isabel et à Laetitia.
- Reportage : Elodie Maillot
- Réalisation : Emmanuel Geoffroy
Chanson de fin : "Four Women" de Meshell Ndegeocello
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