Calais toujours

"Au moment où vous avez les pieds dans l'eau vous ne pouvez pas être contrôler ou arrêter : c’est une loi maritime. "
"Au moment où vous avez les pieds dans l'eau vous ne pouvez pas être contrôler ou arrêter : c’est une loi maritime. " ©AFP - Yoan Valat
"Au moment où vous avez les pieds dans l'eau vous ne pouvez pas être contrôler ou arrêter : c’est une loi maritime. " ©AFP - Yoan Valat
"Au moment où vous avez les pieds dans l'eau vous ne pouvez pas être contrôler ou arrêter : c’est une loi maritime. " ©AFP - Yoan Valat
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Olivier est un pêcheur calaisien, et Sophie enseigne la philosophie en hypokhâgne près de Calais. Il voit régulièrement des bateaux de migrants partir pour l'Angleterre, et Sophie s'est vue menacée après avoir proposé une sortie ethnographique à ses élèves, à Calais. Récit signé Clawdia Prolongeau

Olivier rêve depuis toujours d'habiter au bord de la mer calaisienne. Pêcheur passionné, il raconte son quotidien où il lui arrive constamment de croiser des migrants entassés sur des bateaux gonflables, tentant de rejoindre les côtes anglaises. "On peut croiser trois ou quatre bateaux avec entre 20 et 40 migrants sur un bateau et en pleine journée."

Olivier explique qu'il s'occupe régulièrement de vérifier que les personnes à bord des bateaux ne sont pas en danger. “Quand ils passent à côté de nous, on contrôle qu'ils ne sont pas en danger. Ce sont des accords qu'on a avec la préfecture maritime : chaque plaisancier doit porter secours à un autre plaisancier, que ce soit professionnel ou autre, on doit aider son prochain, son voisin qui peut être en difficulté. Par contre, si c'est une panne moteur, on ne peut pas donner de carburant parce que ça pourrait être assimilé comme une aide à l'immigration.”

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Un jour le pêcheur calaisien assiste à un départ en masse de personnes qui tentent de rejoindre l'Angleterre dans des conditions dangereuses. “Ce jour là, on sentait une situation électrique. On voit que ça crie beaucoup, ça s'énerve, il y avait quelque chose. Avec les ferries qui passent, ça fait des vagues, et à un moment on entend crier, on entend un bruit et je vois quelqu'un tomber à l'eau. C’était le passeur qui était en train de pousser des migrants à l'eau parce qu'ils n'avaient pas payé leur place.”

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Sophie a enseigné la philosophie politique à Saint-Omer pendant plusieurs années. Elle raconte qu'elle s'est mise à voir de plus en plus d'exilés au sein de ses trajets.  "Je prenais la ligne de train du TER Lille-Calais, et à partir de 2014 je voyais de plus en plus la présence des exilés que je reconnaissais à leurs chaussures : des bottes pleines de boue. Au gré de ces trajets, je me suis mise à entrer en contact avec eux, un regard, un sourire, et puis ça déclenche la conversation. C'est des personnes qui avaient beaucoup de choses à raconter, j'ai donc eu envie de collecter leurs récits. J’ai écrit un premier livre : Les migrants de Calais."

En septembre 2022, Sophie souhaite faire un projet ethnographique avec ses étudiants d'hypokhâgne, sur les thèmes de l'exil et des frontières. "On construit ensemble en bricolant un travail sur la question de l'exil, et les étudiants sont complètement libres de participer et de s'investir à la manière dont ils le souhaitent dans ce projet. On prévoit d'aller ramener les dons collectés à l'Auberge des migrants et de faire très modestement une petite ethnographie à la frontière, notamment en faisant de l'observation participante dans le hangar de l'Auberge. Ils ont un carnet de notes et, on prévoit d'aller sur le lieu de l'ancienne jungle qui est une zone complètement vide pour photographier les éléments de sécurisation de la frontière. C’est vraiment un travail d'initiation à la recherche de terrain, de documentation des faits."

Les Pieds sur terre
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Le 27 novembre 2022, un communiqué de presse est publié, accusant Sophie de faire de la propagande en faveur des migrants de Calais. "L'une de mes collègues, qui est déléguée du parti Reconquête, va utiliser un mail que j’ai envoyé aux étudiants pour sortir un communiqué de presse. Je me retrouve accusée de propagande, et d'idéologie. Il a été écrit : "Au lycée Watteau, une professeur impose son idéologie avec une sortie scolaire auprès des migrants de Calais. Ce déplacement est à l'initiative d'une militante pro immigration, professeur de philosophie de la classe.""

"J'ai reçu des dizaines et des centaines de messages de mort, des messages réclamant que je sois guillotinée, dépecée vivante, des injures sexistes et racistes. Ça a tourné au cauchemar."

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  • Reportage : Clawdia Prolongeau
  • Réalisation : Alexandra Kandy- Longuet

Musique de fin : "Khobs", Issam Hajali