Confinés en mer

Les bateaux de sauvetage arrivent avec des membres d'équipage du Costa Magica présentant des symptômes de COVID-19 à la station de la garde côtière américaine de Miami Beach le jeudi 26 mars 2020.
Les bateaux de sauvetage arrivent avec des membres d'équipage du Costa Magica présentant des symptômes de COVID-19 à la station de la garde côtière américaine de Miami Beach le jeudi 26 mars 2020. ©Getty - David Santiago/Miami Herald/Tribune News Service
Les bateaux de sauvetage arrivent avec des membres d'équipage du Costa Magica présentant des symptômes de COVID-19 à la station de la garde côtière américaine de Miami Beach le jeudi 26 mars 2020. ©Getty - David Santiago/Miami Herald/Tribune News Service
Les bateaux de sauvetage arrivent avec des membres d'équipage du Costa Magica présentant des symptômes de COVID-19 à la station de la garde côtière américaine de Miami Beach le jeudi 26 mars 2020. ©Getty - David Santiago/Miami Herald/Tribune News Service
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Mars 2020 : Stéphanie et son fils embarquent pour une croisière de rêve dans les Caraïbes. Tout se passe comme prévu jusqu'au premier refus d'accostage par le port de Tobago. Au même moment, Benoît est à bord du porte-conteneur sur lequel il est affecté pour une mission de 2 mois et demi...

Benoit a commencé à naviguer en 2010. Il passe dix ans sur des navires à parcourir les océans du monde entier jusqu’en 2020, où tout bascule. En décembre 2019, il est officier de pont, il apprend qu’il partira environ deux mois en mission. 

Peu avant le départ, on avait déjà connaissance d’un problème en Chine par rapport au coronavirus. On n’avait pas du tout conscience que ça allait devenir un problème mondial.

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Malgré l’émergence des premiers cas chinois de Covid-19, le voyage est maintenu et l’équipage ne prête pas vraiment attention à ce nouveau virus, encore inconnu à l’époque. 

Les escales se déroulaient normalement jusqu’à ce qu’on arrive aux abords de la Chine. On a réalisé que quelque chose n’allait pas quand les autorités portuaires sont arrivées à bord habillées de combinaisons intégrales. Ils ont commencé à faire des prises de température et à contrôler de la santé de l’équipage.

Deux jours avant la relève d’équipage prévue en Corée, l’équipage apprend qu’il n’a pas le droit de poser le pied à terre. Il est obligé de reprendre la mer et repartir vers les États-Unis. Ils n’ont pas de date de retour, ne savent pas quand ils pourront retourner chez eux. 

On retrouve les mêmes ports qu’à l’aller, mais on ne peut plus descendre. On nettoyait les passerelles et tous les instruments pour éviter les contaminations.

Benoit discute énormément avec son matelot. Le matelot est philippin, il projette de se marier et a hâte de retrouver sa famille. Cela fait 10 mois qu’il est à bord du bateau. Benoit, lui, est à bord depuis 4 mois et demi lorsque la possibilité de débarquer sur l’ile de la Réunion est évoquée. L’équipage semble enfin atteindre le bout du calvaire :

Il y avait une forme d’indécence à voir tous les Français quitter le bord alors que nos amis philippins restaient bloqués sur le navire parce que leur pays était fermé. Aucune solution n’avait été mise en place pour eux.

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Stéphanie et son fils de 6 ans, eux, avaient prévu deux semaines de croisière entre les Caraïbes et les Antilles à bord du Costa Magica. Une semaine avant de partir, ils apprennent qu’un virus respiratoire circule. Or le fils de Stéphanie, fan d’animaux marins, est aussi asthmatique. Elle appelle Costa Croisières afin d’annuler les vacances, mais l’agence de voyage leur promet qu’ils seront en sécurité. De toute façon, ils perdraient les milliers d’euros engagés pour l’achat des billets. La mère et son fils embarquent donc. 

Au moment où on embarque, mon fils a les yeux qui brillent. Le paquebot est immense, en levant la tête on en perçoit à peine le bout. C’est 13 ponts, des centaines de cabines, une capacité de 3500 personnes. Finalement le navire nous paraît immense.

Les premières escales ont lieu comme prévu, le fils de Stéphanie est ravi par les animaux marins qu’il chérit tant, les paysages sont paradisiaques, les soucis semblent loin. Au bout de quelques jours pourtant, le rêve tourne au cauchemar. 

Très tardivement, on nous informe que l’escale qui devait avoir lieu le lendemain à Saint Kitts n’aura pas lieu parce que l’île a refusé le bateau.

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On explique très succinctement à Stéphanie que c’est à cause de la pandémie. Les frontières sont fermées aux passagers italiens. En réalité, 400 Italiens sont à bord du navire. 

Je me suis réveillée vers 7h du matin, mon fils dormait encore. On était très peu nombreux à être debout à cette heure là. Mais on voit une pilotine des autorités locales nous accoster, avec deux hommes en combinaison intégrale blanche et un sac de décontamination à la main. A ce moment-là, je me dis qu’il y a un problème sanitaire à bord.

Les passagers ne reçoivent pas d’information, ils errent sur les ponts et essayent de comprendre ce qu’il se passe. Quelques vacanciers martiniquais et guadeloupéens ont une connexion internet et se rendent compte de la gravité de la situation à travers les informations locales. 

Les gens ne sont plus en colère, mais inquiets, et le personnel du bateau continue à nous dire que la situation à bord est saine.

Les escales suivantes sont également annulées au compte-gouttes jusqu’à ce que le paquebot arrive enfin à Saint-Martin, la seule île qui accepte le navire. La journée passe, les passagers remontent à bord - pour la plupart - et pensent passer la journée suivante à Saint-Martin. Mais l’accalmie est de courte durée : 

Vers 22 heures, on a un message retentissant dans les hauts-parleurs qui nous explique que les autorités de Saint-Martin nous demandent de quitter le port immédiatement. Et au moment où le message commence, on sent le bateau bouger.

Les vacanciers passent une journée de plus sur le bateau. Ils s’occupent comme ils peuvent entre le casino, les cours de gym, les bars, les restaurants, les piscines et le spa. Ce sont des espaces tout de même assez réduits et les passagers sont collés les uns aux autres : des conditions optimales pour la propagation du virus. 

À partir de là, on se rend compte que tout le personnel de Costa s’enferme dans leurs bureaux. Il reste les serveurs et les cuisiniers, tout le personnel en charge de faire tourner le bateau reste à son poste. Mais on n’a plus personne à l’accueil pour répondre à nos questions, plus de gradés, plus de responsables et plus de capitaine, qui s’est enfermé dans sa cabine et qui n’en sortira pas.

C’est alors que la situation se tend violemment :

On voit des scènes de violence, de heurts, ce sont des gens qui étaient calmes, avec qui je discutais en début de croisière, et on se retrouve avec des gens qui sortent de leurs gonds : ils crient, ils veulent sauter et nager 6km jusqu’à la côte, ils cherchent à sortir du navire.

La situation à bord du navire s'aggrave. De très nombreux passagers sont malades, un seul restaurant demeure ouvert, avec une capacité d'accueil de seulement 400 personnes. Le personnel est malade, les vacanciers aussi. Ils sont angoissés, ils ont peur qu'on leur interdise le débarquement s'ils ont de la fièvre. On leur promet cependant un débarquement le samedi, pont par pont.  

Quand je sors, il y a le PDG de Costa France, M. Azouze, qui assiste au débarquement, et je l'entends dire sur le quai, au moment où je sors : "Bon finalement, ça ne s'est pas si mal passé que ça, il y en a qui se plaignent mais tout s'est bien passé. [...] Jusqu'à preuve du contraire, on n'a tué personne." 

Les passagers sont ensuite répartis dans les transports. Ils sont nombreux à être malades et faibles. Ils sont fiévreux et toussent. Epuisés, Stéphanie et son fils parviennent à rentrer chez eux tant bien que mal : ils sont plus chanceux que d'autres, qui ont succombé à la maladie quelques jours après le débarquement.

  • Reportage : Camille Juzeau
  • Réalisation : Clémence Gross
  • Mixage : Benjamin Vignal

Merci à Stéphanie Dubois, à maître Philippe Courtois, avocat des victimes du Costa Magica ; à Benoit Groleau désormais expert maritime; ainsi qu'à Jean-Philippe Chateil (CGT) et Camille Jego (psychologue) qui ont apporté leur aide aux marins pendant cette période.

Musique de fin : "Voyage, voyage" de Soap & Skin - Album : Narrow, 2012. 

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