Des parents épuisés

Le burn out parental, entre colère, fatigue et culpabilité.
Le burn out parental, entre colère, fatigue et culpabilité. ©Getty - RainStar
Le burn out parental, entre colère, fatigue et culpabilité. ©Getty - RainStar
Le burn out parental, entre colère, fatigue et culpabilité. ©Getty - RainStar
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Trois parents racontent leur effondrement parental : Jeanne et Rémi, las des crises de leur fille, se sont épuisés dans la quête d'un modèle de famille idéale. Eva, elle, rêve de solitude, loin de l’intendance familiale et des colères de son fils aîné.

À 30 ans, Eva vit en Haute-Savoie avec ses deux jeunes enfants de quatre et un ans. Des enfants qui lui mènent la vie dure au fil de ses longues journées, qui commencent à 5 heures du matin pour se terminer aux alentours de 21h30.

Quand son aîné a commencé à faire des crises à l’âge d’un an, elle a progressivement craqué :

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Je crie, je hurle. Je monte dans des colères pas possibles, j’ai envie de le frapper. J’ai déjà craqué en lui donnant des fessées. […] Disons que plus je m’énerve, moins j’ose lui mettre la main dessus, parce que je me dis que je ne pourrais pas m’arrêter si je commence.

Face à ces pensées, Eva se sent coupable. Malgré tout, son fils l’épuise beaucoup :

Sa présence m’exaspère, tout ce qu'il fait, ça m’exaspère. Parfois il essaie quand même d’être gentil en me disant qu’il m’aime. J’ai même plus envie de lui répondre. J’ai plus envie de lui faire des câlins, je n’en ressens pas du tout le besoin. Alors je me force pour lui. J’ai plus envie de jouer avec lui, parce que ça part en crise s’il perd ou n’arrive pas à faire quelque chose. Passer du temps avec lui, c’est devenu une corvée.

Dépassée par ses enfants et un mari trop peu concerné, Eva désire avoir des moments plus calmes et reposants. Son rêve, c’est d’être sur une île déserte, bercée par le silence. Si elle envie ses copines célibataires, c’est simplement par regret de l’insouciance de la vie d’avant.

Il y a eu des moments où j’ai vraiment eu envie de partir, de tout laisser derrière moi, de ne plus aller au travail, et de prendre une semaine de vacances très loin, sans rien dire à personne. Mais ma conscience de maman me dit de ne pas le faire.

Quand Eva rencontre la psychologue scolaire pour discuter des problèmes de son fils aîné, elle ne peut parler de son mal-être :

Je suis au bord de l’épuisement à cause de lui, et lui fait des crises à cause de moi.

L’envie de parler, notamment à son médecin, se heurte à la honte. Eva n’ose pas, sa parole est comme bloquée :

Personne ne sait que je suis épuisée. Personne ne sait que je ne supporte plus mes enfants, et c’est parce que j’en ai honte. Je n’ai pas envie que les gens me jugent, alors je le garde pour moi…

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Avant d’être maman, Jeanne voulait s’épanouir intellectuellement et professionnellement. Avoir des enfants n’était pas son désir le plus ardent. Une fois mariée, elle se lance pourtant dans l'aventure avec son mari Rémi. Sans avoir le temps de se projeter, dit-elle, la jeune femme tombe enceinte. Après cette première naissance, une seconde est envisagée :

Pour moi, il y avait toujours un vide. Ma famille n’était pas complète avec un seul enfant. On s’est lancé dans l’aventure.

Sa fille commence cependant à faire des crises de colère assez fulgurantes, si bien que tout devient difficile  :

Ça a surtout réveillé chez moi beaucoup de colère, beaucoup de ressentiment. J’avoue que je ne savais plus comment faire : j’avais juste envie qu’elle se taise, qu’elle se calme. […] J’avais peur de la disputer.

Quand le premier confinement se met en place, la situation empire : les crises se multiplient alors que Jeanne attend son deuxième enfant.

Pendant cette période de crise sanitaire, j’attends tous les soirs que ma fille soit couchée pour pleurer. Ce n’est pas comme ça que j’envisageais les choses, que je m’imaginais ma grossesse.

Jeanne n’y arrive plus. Après l’accouchement, les colères et les crises de larmes de sa fille n’en finissent pas :

Parfois, je lui dis des choses un peu méchantes, ça sort tout seul de ma bouche. C’est bizarre. Et je sais très bien qu’un enfant de quatre ans ne peut pas réfléchir aux conséquences de ses actes.

La culpabilité se mélange à la colère ainsi qu’à la « honte ». Jeanne ne se reconnaît pas et craint de tomber dans la folie.

J’essaie d’apprendre à ma fille à gérer ses émotions, mais je me rends compte que je n’arrive moi-même pas à les gérer.

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Tout en tâtonnant avec son mari, la situation devient de plus en plus invivable. En septembre dernier, le couple décide de consulter. Jeanne ferait, lui dit-on, un « burn out parental » :

Pour moi c’est un peu un échec, parce que je ne m’imaginais pas la parentalité comme ça, je n’imaginais pas ma vie ainsi. Je pensais que je serais pleinement épanouie avec mes deux enfants…

En réalité, la jeune mère de famille prend conscience qu’elle a placé la barre très haut. Son couple a aussi souffert :

J’ai eu l’impression que la dynamique de notre famille reposait sur moi, si bien que je brimais mon mari. Je lui interdisais de dire certaines choses. […] J’étais un peu la messagère de la bonne parole, et je ne lui ai pas fait confiance.

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Face au malaise de sa femme, Rémi s’est longtemps trouvé désemparé. Les livres spécialisés et réseaux sociaux que consulte Jeanne, qui véhiculent l’image de maternités heureuses, sont pour lui « aberrant[s] ». Si être père est difficile, il a pourtant réussi à s’adapter :

Si je pars plusieurs jours, j’ai peur en rentrant. Je ne sais pas ce qui va se passer, comment ma femme et les enfants vont réagir. Ça peut très bien aller comme ça peut être l’enfer total. Parfois, je me dis « purée, c’est assez violent ». […] On sent la liberté partir, disparaître. C’est assez déstabilisant. Mais on s’y fait.

Un jour, quand Rémi part 15 jours en déplacement professionnel, Jeanne panique à l’idée d’être seule. Elle a peur de commettre l’irréparable et de perdre le contrôle. C’est en appelant sa mère qu’elle trouve de l’aide, se repose et réfléchit à sa vie…

Pour aller plus loin :

- L'article publié le 16 janvier 2021 dans Le Monde, "En courant après un modèle de perfection, les parents creusent leur propre tombe".

- Le site "Burnout parental" créé par Isabelle Roskam et Moïra Mikolajczak.

  • Reportage : Anna Benjamin
  • Réalisation : Clémence Gross
  • Mixage : Valérie Lavallart

Merci à Jeanne, Rémi, Eva, Sophie et Isabelle ­Roskam.

Musique de fin : "Tyinbo", Christine Salem - Album : Mersi**, 2020 - Label : Blue Fanal.**

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