

Deux éleveurs de vaches charolaises, Jean-Marc et Émilie, racontent comment un accident et un coma ont bousculé leurs pratiques d'élevage et la vision de leur métier.
Il y a le métier qui s'apprend, souvent en héritage, puis il y a la vie qui bascule. Jean-Marc, âgé de 33 ans, a toujours considéré son métier d'éleveur comme une vocation. Il va jusqu’au bout de son rêve d’enfant en aidant notamment son père :
Quand j’étais tout petit, j’étais déjà avec les vaches. J’étais déjà éleveur dans ma tête. Depuis l’âge de 14 ans, j’ai toujours dit que j’aurai une ferme.
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Mais voilà : son père ne veut pas qu'il reprenne la ferme. Il compte la céder à une autre personne. Face à cette épreuve difficile, Jean-Marc quitte l’exploitation paternelle en 2012 et se retrouve à s’occuper de bêtes dans la Nièvre.
Deux ans plus tard, alors qu’il est âgé de 25 ans, la vie s’arrête. Alors qu’il traverse un passage à niveau à bord de son tracteur avec une bétaillère, un train surgit :
Un train est arrivé, le voyant n’a jamais marché. Il roulait à 130km/h et quelques. J’ai volé sur 50 mètres, je suis tombé au milieu des rails.
Plongé dans le coma, Jean-Marc est héliporté d’urgence. Les médecins sont pessimistes quant à ses chances de survie, mais l’éleveur s’accroche :
La force, on ne l’a qu’une fois comme ça. Ce qui m’a fait tenir, c’est parce que j’ai puisé la force là ou je l’avais. Mon métier y a été pour quelque chose. Quand je suis sorti du coma, la première question que j’ai posée c’est de savoir si mes vaches allaient bien.
Après quelques semaines de convalescence, Jean-Marc parvient à reprendre son travail, en mi-temps thérapeutique. Mais les conditions ne sont pas optimales : il n’a plus de force.
Je voyais que mon métier était foutu.
Alors qu’il reprend du poil de la bête, l’idée lui vient de partir. C'est chose faite en 2017 : trois ans après son accident, il s’installe dans une nouvelle exploitation de 180 hectares, avec trois cents bêtes. Son rapport aux animaux a profondément changé :
Mon caractère n’est plus le même, je ne suis plus pareil. Je suis plus à l’écoute des gens. Avec mes bêtes, j’ai l’impression qu’on se comprend. Avant et après mon accident, ça a changé quelque chose avec elles. J’arrive mieux à cerner leurs réactions.
Auparavant « nerveux », l’éleveur prend plus de temps avec ses vaches. Néanmoins, il vit dans une certaine précarité : s’il s’arrange et fait d’autres activités en parallèle de son exploitation, Jean-Marc vit aujourd’hui dans un mobile-home, et juge l’État responsable de sa situation.
Je ne dis pas que je vis mal, mais il faut tout, tout faire pour y arriver, et c’est pas normal.
Avec le temps, l’éleveur, cerné de solitude et de doutes, en est venu à se poser des questions :
Je suis allé au bout, j’ai eu ce que je voulais. Mais maintenant je me demande « pourquoi tout ça ». Et j’ai pas de réponse.
Emilie Jeannin, elle, est devenue éleveuse presque par hasard. Son père est éleveur de charolaises en Côte-d’Or. Petite fille, elle entretenait déjà un rapport particulier avec les vaches, au milieu desquelles elle a grandi :
Je les trouvais belles et rassurantes. Mon lien avec elles vient de papa et de ma grand-mère. Ils avaient des vaches laitières, pas beaucoup, mais ils les trayaient au pot dans l’écurie, et j’étais souvent avec eux.
Alors qu’elle a choisi une voie bien différente de son père, Émilie reçoit un matin de 2006 une mauvaise nouvelle :
Ma mère m’a appelé en m’expliquant que mon père venait d’avoir un accident.
En effet, le père d’Émilie a perdu le contrôle de sa voiture sur des routes enneigées et verglacées. Il subit un traumatisme crânien lourd qui le plonge dans un long coma. Après lui avoir rendu visite à l’hôpital, Émilie doit trouver une manière d’organiser l’entretien des vaches, alors qu’elle même est enceinte de six mois.
J’ai eu l’élan de tout quitter. Je me suis mise en congés, je me suis mise à chausser les bottes, enfiler la cotte et m’occuper des vaches.
Les mois passent, et le père d’Émilie ne se réveille toujours pas. Une incertitude plane sans cesse au sein de la famille, qui demeure animée par l’espoir. En attendant, Emilie et son frère Brian mettent en pratique des choix éthiques et moraux dans la ferme : pas d’antibiotiques, pas de vaccin ni d’OGM, mais du respect et de l’amour pour leurs animaux.

Après 14 ans de coma, leur père finit par décéder en avril 2020. La succesion s’est faite de manière fortuite, mais Émilie a tenu à garder l’exploitation de son père :
C’était important de garder le troupeau de notre père. Pour mon frère et moi qui avons repris, c’était très symbolique.
Quand elle se sent mal, ses vaches l’apaisent. Les voir et les écouter l’aident à se sentir rassurée :
Les vaches, ce sont des animaux assez tranquilles. Elles ont leur quatre pieds sur terre qui les ancrent, et j’ai l’impression qu’elles m’aident à m’ancrer.
Le tragique accident de son père a questionné la mère de famille sur la mort, et son rapport à l’abattoir, qui demeure pour elle une source de stress, même après des années. L’éleveuse a mis en place un rituel particulier : elle les remercie et leur dit au revoir en les caressant.
Moi, je leur parle et leur dis qu’elle ne produiront pas de veau cette année-là.
Il y a cinq ans, Émilie a entendu parler d’un abattoir mobile pour bovins en Suède. Elle souhaite importer ce projet en France, ce qui serait inédit : cela permettrait, entre autres, de renforcer le respect total du bien-être animal. Un projet qui devrait se concrétiser dans les prochaines semaines…
Depuis l’enregistrement en janvier 2021 :
Emilie Jeannin a lancé une campagne de recrutement pour trouver des personnes qui vont l'aider à mettre en place sa nouvelle filière de viande éthique (avec abattage à la ferme et distribution de la viande) labellisée Le Boeuf éthique. C'est la première filière de boeuf éthique en France qui permet la traçabilité de la bête, de sa naissance jusqu'à son abattage, une filière courte sans intermédiaire, dont la page Facebook est ici.
Jean-Marc, lui, essaie de réduire son cheptel pour se diversifier, notamment grâce au sorgho et au chanvre. Il craint de ne pouvoir nourrir ses bêtes : l’hiver a été rigoureux, le printemps tardif et le manque d’eau criant…
S'il ne pleut pas dans les jours à venir, ça va être la catastrophe, je devrai acheter du foin au mois de mai... mais je ne peux pas me le permettre, j'ai trop d’emprunts.
Reportage : Léa Minod
Réalisation : Cécile Laffon
Merci à Jean-Marc, Émilie Jeannin et Eulalie Torres.
Musique de fin : "The Crave", Vincent Peirani & Emilie Parisien - Album : Abrazo, 2020 - Label : ACT Music.
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