Grandir dans une fratrie (très) singulière

Delphine et sa petite sœur Perrine.
Delphine et sa petite sœur Perrine. - Delphine Gleize
Delphine et sa petite sœur Perrine. - Delphine Gleize
Delphine et sa petite sœur Perrine. - Delphine Gleize
Publicité

Delphine, Anne-Laure et Andrés ont grandi avec un frère ou une sœur atteint d’une Infirmité Motrice Cérébrale (IMC). Ils racontent comment le handicap d’une sœur ou d’un frère écrit l’enfance de “celui qui va bien”, entre les crises insoutenables et les moments de joie.

Delphine a cinq ans quand sa sœur Perrine naît infirme moteur cérébral, pour une raison inconnue. Anne-Laure, elle, est l'aînée d'une fratrie de trois enfants. Ses frères, des jumeaux, sont nés prématurés, à six mois et demi. Le second, Paulin, a subi une hémorragie cérébrale à la naissance, qui est à l'origine de son polyhandicap. C’est aussi le cas d'Alvaro, le grand frère d'Andrés. Perrine, Alvaro et Paulin sont handicapé à 100%, c'est-à-dire qu'ils n'ont aucune autonomie, ne peuvent ni marcher ni parler.

Les mots, les jeux et les rires

Pour Anne-Laure, la difficulté la plus évidente est l'incapacité de son frère à parler. Aussi, elle utilise la musique pour susciter des réactions chez lui, comme elle le raconte dans le podcast La cassette des bruits. Andrés ne peut pas non plus entretenir de discussion avec son frère, mais Alvaro est pour lui comme "un enregistreur de son" : très attentif à son environnement, Alvaro est capable d’écouter son petit frère lui raconter ses secrets les plus intimes.

Publicité

"C'est assez impressionnant parce que je me sentais écouté comme par personne, comme je n'avais pas ce retour verbal, mais ce n'était pas comme parler à un mur, parce que vraiment, il y avait une réception." Andrés

Perrine, la petite sœur de Delphine, communique par gazouillis, ou par rires, qui constituent pour sa sœur un véritable langage qu’elle a appris à comprendre. Enfant, elle jouait à faire des émissions de radio avec Perrine qui était alors la "parfaite actrice", sans paroles, mais avec des vocalises. Au-delà de la complicité dans le jeu, il s'est développé entre les deux sœurs un lien très intime, une connexion que Delphine ressent physiquement.

"Dès sa première année de vie, je sais la déchiffrer. Sans me vanter, je sais quand elle a mal au ventre, aux dents, quand elle a les fourmis dans les pieds, et je sens quand les convulsions arrivent, comme un montagnard sait reconnaître l'orage avant même que le temps ne vire au gris. C'est naturel et fatigant, et j'ai souvent envie de couper ce lien-là." Delphine

"Une pression implacable"

Si Delphine sait reconnaître quand les crises de Perrine arrivent, la famille ne sait jamais quelle gravité elles auront. Pour Delphine, habituée à accompagner sa sœur aux urgences, l'hôpital est "comme une deuxième maison". La famille doit donc constamment prêter une attention maximale à Perrine, pour éviter de l'exposer à des stimuli qui pourraient déclencher chez elle une crise. 

A côté, Delphine se doit d'être une grande sœur irréprochable. Même si elle trouve parfois pesant de ne pas se sentir assez écoutée...

"J'ai été en colère. J'ai ressenti une pression implacable. Mais à Perrine__, ce bébé éternel, je ne lui en ai jamais voulu." Delphine

Au contraire, Delphine aime les différences de Perrine, et ressent même de la fierté à l'endroit de sa sœur, qui prend parfois des formes surprenantes : "Ma sœur ne tombera jamais en courant, elle ne sera jamais l'assassin de personne !"

Comme Perrine, Paulin, le frère d'Anne-Laure, a du mal à supporter certaines situations. Toute la famille est obligée de s’adapter et Anne-Laure se souvient douloureusement des crises de colère de son frère, qui peut se transformer en "tyran".

"Je montais dans ma chambre et je m'enfermais à clef. Je mettais un casque sur mes oreilles pour écouter la radio, pour ne plus entendre que des sons dont j'avais envie. Et dans ces moments-là, généralement, je pleurais. Je ne l'aimais pas. Je le détestais et je ne voulais plus le voir." Anne-Laure

La "pression implacable" sur l'enfant qui va bien, et qui doit donc se mettre en retrait, Anne-Laure l'a ressentie elle aussi. Encore à ce jour, elle a l'impression d'avoir gardé cette peur de déranger, de se faire remarquer. Il lui a aussi fallu du temps pour accepter d'avoir parfois espéré, secrètement, la disparition de son frère.

"Toutes ces fois où, quand j'étais plus jeune, j'ai eu envie que Paulin meure, parce que je ne supportais plus tout ça, je voulais que ça s'arrête, cette vie-là, j’en avais honte. La première fois que j'en ai parlé, j'avais plus de trente ans, et c’était à un thérapeute qui m'a appris que c'était légitime." Anne-Laure

La séparation

La première fois qu'Andrés a compris que son frère allait partir avant lui, il a été profondément affecté.

"J'étais en CE1. Un ami que j'avais invité à la maison m'a dit : "Tu sais, ma mère m'a dit que ton frère ne va pas vivre jusqu'à ses dix ans", alors qu'il avait neuf ans. Je me souviens que c'était un énervement intérieur, parce que je pense que je ne m’étais jamais posé cette question avant." Andrés

Mais le médecin d'Alvaro rassure la famille : le petit garçon est bien entouré, et il est si heureux qu'on ne peut réellement donner de pronostic d'espérance de vie. Quand, un matin, le cœur d'Alvaro s'arrête, Andrés et ses parents l'emmènent immédiatement aux urgences. Pour Andrés, le départ de son "petit" grand frère, qu'il appelle Alvarito, "petit Alvaro" en espagnol, est un déchirement.

"Mon frère est décédé en juin. C'était le débat pour savoir si on lui mettait un sac pour manger. Et je pense que mon frère s'est dit que s'il allait perdre la capacité de manger, qui était un de ses trois moteurs de vie, il ne voulait pas rester là. Je pense que c'est lui directement qui s'est dit : j'ai vécu une vie assez incroyable tout le temps, mais je ne vais pas souffrir et je ne veux pas les faire souffrir. Et il est parti." Andrés

Andrés et Alvaro.
Andrés et Alvaro.
- Andrés Hernandez Machado

En partant de la maison, Delphine a senti le lien très intense qu'elle avait avec Perrine se briser, mais pour se transformer. En effet, pendant longtemps, elle a pensé que Perrine faisait partie d’elle-même et qu’elle vivait pour deux : "Quand j'étais petite, je disais : je suis fille unique avec Perrine." Elle se sent tellement responsable qu’en quittant la maison, elle a l'impression de l’abandonner. Néanmoins, alors qu'elle s'apprête à signer la cotutelle de Perrine, elle s'engage aujourd'hui à être toujours aux côtés de sa sœur, peu importe ce que réserve l'avenir.

Delphine et Perrine.
Delphine et Perrine.
- Delphine Gleize

Merci à Perrine, Bernard et Line Gleize, à Anne-Laure Chanel, à Andrés Hernandez Machado et à Nathalie Démoulin.

Reportage : Delphine Gleize

Réalisation : Anne-Laure Chanel

Mixage : Julien Doumenc

Anne-Laure Chanel, la sœur de Paulin et la réalisatrice de cette émission, a publié un livre sur son expérience aux éditions le Rouergue : Sœur sans bruit. Grandir avec un frère différent (2021).  Retrouvez-là également sur l'instagram du livre, @soeursansbruit, sur Facebook, mais aussi dans trois courts podcasts qu'elle a fabriqués :  " La cassette des bruits", " Le petit" et " Dire au revoir".

Anne-Laure Chanel, "Sœur sans bruit : grandir avec un frère différent", Editions le Rouergue, 2021.
Anne-Laure Chanel, "Sœur sans bruit : grandir avec un frère différent", Editions le Rouergue, 2021.
- Editions du Rouergue

Chanson de fin : “I needed the sun” de Shards.

L'équipe