Handicap, amour et préjugés

En Virginie, Cole, tétraplégique depuis 10 ans, embrasse sa compagne Charisma, rencontrée dans son centre de rééducation. (2018)
En Virginie, Cole, tétraplégique depuis 10 ans, embrasse sa compagne Charisma, rencontrée dans son centre de rééducation. (2018) ©Getty - Barcroft Media
En Virginie, Cole, tétraplégique depuis 10 ans, embrasse sa compagne Charisma, rencontrée dans son centre de rééducation. (2018) ©Getty - Barcroft Media
En Virginie, Cole, tétraplégique depuis 10 ans, embrasse sa compagne Charisma, rencontrée dans son centre de rééducation. (2018) ©Getty - Barcroft Media
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Elisa, en situation de handicap, vit en fauteuil roulant depuis toujours. À l’âge de 20 ans, elle est tombée amoureuse à la fac du beau gosse de l’amphi. Un amour impossible, entravé par les préjugés. Julien, lui, est devenu non voyant à 27 ans. Il craint de ne plus parvenir à connaître l'amour...

Comment aimer quand la situation de handicap rend la vie moins "normale", quand la solitude pend plus au nez qu'à d'autres et que les préjugés ne viennent rien arranger ?

Cela fait désormais 23 ans que Julien ne voit plus. Né myope, il a toujours été habitué aux troubles de la vision. Il connait, dès l’enfance, une dégradation progressive de la vue. Il perd son premier œil à l'orée de l'adolescence, pendant que le second se dégrade.

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Enfant, je l’ai très tôt vécu comme une grosse différence par rapport aux autres. À l’adolescence, c’était compliqué à gérer : j’avais tendance à le gommer, le cacher. 

Au fur et à mesure que Julien perd la vue, son complexe se décuple. Comment draguer ou plaire à quelqu'un sans voir la personne ? Sa première relation intime à 17 ou 18 ans, il l’explique uniquement par le premier pas qu'a fait sa partenaire.

J’étais très seul face à ces difficultés. J’étais très conscient d’être dans une forme de grande souffrance. Par contre, j’ai été dans une forme de dépression qui a duré assez longtemps.

A 27 ans, Julien perd totalement la vue et ce de manière brutale. À l’hôpital, on lui annonce délicatement qu’il n’y a plus rien à faire. Alors que sa mère est effondrée, il est soulagé.

À ce moment, je suis coupé d’un fil invisible et malsain pour moi, qui est l’impossibilité de communiquer avec mes yeux alors que je vois. (…) À cette époque, mon image était tellement dégradée que je ne pouvais même pas profiter de ce que je voyais. Au sens figuré, pareil.

Soulagé, car la déficience et les problèmes se résolvent définitivement. Julien connait alors le noir, et un nouveau chapitre s’ouvre désormais pour lui :

Ne plus avoir d’images, ça me soulage complètement. Je me retrouve dans le noir, enfin. Au calme, apaisé.

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La vie reprend son cours pour le chef d’entreprise, il est soutenu par son équipe et particulièrement par son assistante. A coté de la relation professionnelle, une complicité naît entre eux. 

Petit à petit, je me rendais compte que j'avais une attirance pour cette personne. Je lui ai proposé de venir boire un verre à la maison. Ensuite, on passait de plus en plus de temps ensemble, en dehors du travail.

Julien tombe sous le charme. Il découvre à cette occasion de nouvelles sensations et développe ses sens. Les yeux ne sont pas si importants :

Le contact de la peau, la pression, la chaleur d’une main, sa forme, les bijoux qu’il peut y avoir dessus… À travers cette petite partie du corps, on peut en extrapoler toute la partie qu’on ne voit pas. Et, à partir de là, je suis tombé amoureux.

Tout se passe parfaitement bien. Le premier baiser, les premiers papillons, les premières émotions de l’intimité partagée. Le lendemain, dans un train, la complicité se confirme. La romance est en route, décuplant toutes les sensations — « un sentiment d’intimité tout à fait exceptionnel », affirme Julien.

Ça aurait pu venir par les mots, mais ça a été tellement plus beau que ça vienne autrement que par quelque chose de plus évident que le regard ou les mots.

Riche de cet amour, Julien a appris à s’assumer :

Elle m’a permis de comprendre qu’il est possible de vivre des relations amicales et amoureuses vraiment très fortes. Ça m’a rassuré : perdre la vue, ce n’est pas perdre la relation à l’autre. 

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Elisa, elle, est avocate et militante. Elle est en situation de handicap depuis son enfance. Petite, elle se demandait si elle pourrait rencontrer quelqu’un un jour, et bien des années plus tard, elle trouve quelques réponses. 

A la faculté, un garçon commence à lui parler, en prenant soin de se mettre à sa hauteur. L'homme en question est considéré comme "le beau gosse de la fac". Elisa est tombée très vite sous le charme :

C’est ça le coup de foudre : une personne qui vous éblouit. Au début, je me suis demandée ce qu’il se passait. Pourquoi y avait-il un effet aussi important ? Il ne m’a pas fallu très longtemps avant de comprendre que j’étais amoureuse de lui.

Mais voilà, un monde semble les séparer : lui, c’est un mec beau, populaire, convoité, et elle, elle est en situation de handicap.

Lui, il était au dessus du panier, et moi j’étais tout au fond. Donc ce n’était pas possible, aux yeux de la majorité des gens.

Elisa essuie donc les remarques désobligeantes. On la raisonne, on la fait redescendre sur terre, on lui fait comprendre qu’elle serait au premier barreau de l’échelle, qu’elle ne vaudrait pas grand chose sur le supermarché de l’amour et qu’elle devrait trouver quelqu'un au même niveau qu'elle. 

On a tellement peu de représentations de la vie privée, affective et amoureuse des personnes handicapées que ça crée du malaise. Ça déconcerte l’entourage de voir une femme handicapée amoureuse. Pour un homme valide, le fait même de reconnaitre son attirance pour une femme handicapée est un problème, puisqu’on nous représente comme étant repoussantes.

Elisa vit alors sa romance non partagée, même si elle réussit à trouver des moments de complicité avec l’homme dont elle est amoureuse. La dépression lui tombe dessus : la jeune femme s’interroge sur ce qu’elle vit, sur les discriminations et les préjugés d’une société validiste, et la difficile réciprocité dans les relations amoureuses. 

Après avoir parcouru un long chemin intérieur, elle parvient à se livrer et se dévoiler :

C’était le point final. J’étais pressée d’être libérée…

Reportage : Martine Abat

Réalisation : Yaël Mandelbaum

Merci à Anne-Sarah Kertudo et Marie Gaumy, ainsi qu’aux associations "Les Yeux dits et Droits Pluriels". Elisa Rojas a publié un livre, Mr. T & moi, aux éditions La belle étoile.

Musique de fin :  "Quien Podrá Saberlo", Dom La Nena et Julieta Venegas - Album : Tiempo, 2021.

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