Hikikomori : deux jeunes reclus

Au Japon, les adultes qui s'isolent du reste du monde en se retranchant dans leur chambre ont un nom : ce sont les hikikomoris. En France, de plus en plus de jeunes gens - le plus souvent des jeunes garçons - cèdent à la tentation de déserter leur vie sociale, scolaire et professionnelle pour ne plus quitter leur cocon de solitude. Qu'ils jouent à des jeux vidéos, lisent compulsivement ou simplement dorment nuit et jour, ces jeunes adultes ne cherchent plus à s'intégrer à la société. Voici deux témoignages de mères, déstabilisées par leurs fils qui ne sortent plus de leur lit et qui ne répondent plus que par des grognements au travers de leurs portes. 

Lâche ta manette !

Le fils de Manon s'est progressivement cloîtré dans sa chambre. C'est toutefois dès son enfance que le corps enseignant repère les signes d'une immobilité maladive. 

L'enseignante me dit : "Honnêtement, il n'a pas l'air du tout heureux à l'école. Il ne bouge pas. Il pourrait entrer au musée Grévin, car il ne bouge pas, il ne fait pas un geste." Et là, je me rappelle très bien, je suis rentrée à la maison, je me suis mise à pleurer, parce que c'est quand même assez terrible. Manon

A l'adolescence, le fils de Manon ne descend plus que rarement pour les repas et rechigne à se rendre au collège. Même s'il a de bons résultats scolaires, il semble n'avoir de goût à rien et reste toute la journée enfermé dans sa chambre. Un jour, elle découvre l'addiction de son fils : il se rend chaque nuit dans une salle de jeux vidéos.  

La journée, il est enfermé dans sa chambre, et la nuit, il est enfermé dans une salle de jeux. Manon

Manon tente tout pour ramener son fils dans le droit chemin : séances chez le psychologue, punitions en tout genre, suspension d'argent de poche... Jusqu'au jour où elle se rend à la Paris Games Week. Elle tombe des nues quand elle comprend que son fils est en fait une star des jeux vidéos ! 

Sors de ta chambre !

Corinne Maier, psychanalyste et écrivaine, raconte son abattement et son impuissance face à l'inertie de son enfant, Ulysse. 

En fait, il ne voulait rien. Le simple fait d'aller à l'école, c'était très dur et il ne voulait pas y aller. Il ne voulait rien ou il faisait mal, ou il bâclait, il faisait des trous dans le mur de sa chambre. Une fois, il a fait une expérience de chimie. Il a brûlé la moquette. Corinne

Son attitude désespère Corinne qui ne sait plus comment réagir. Elle est prise d'accès de colère contre son enfant, et se défoule sur des objets qui lui appartiennent. 

C'était un combat. Une fois, j'ai totalement craqué et j'ai pris une de ses chemises que j'ai brûlée dans le jardin. On a eu des périodes de dépression complète à cause de lui. On se disait : "Mais c'est pas possible, on ne peut pas gérer ça." Corinne

Cette expérience de la parentalité la marque tellement que l'idée d'avoir des petits-enfants la répugne tout à fait. 

Eduquer un enfant, c'est un cauchemar. C'est une sorte de pression psychologique constante. On ne se sent jamais à la hauteur. On est en permanence en échec. Maintenant, quand je vois des enfants, j'ai une sorte de réaction allergique. Corinne

Reportage : Stéphanie Thomas

Réalisation : Yaël Mandelbaum

Merci à Manon et à Corinne.

Musique de fin : "Let's sing let's dance" de 박혜진 Park Hye Jin.

Pour aller plus loin : 

Le livre de Corinne Maier, Dehors les enfants, Albin Michel, 2021.

Joséphine Argence, "Syndrome d’Hikikomori : quel est ce mal qui touche de plus en plus d'ados et jeunes adultes français ?" Femme Actuelle, 26 juin 2020.

Julien Pebrel, "Reclus et sans projet : qui sont les Hikikomori français?", L'Express, 3 février 2019.

Un blog dédié aux familles de jeunes présentant le syndrome Hikikomori : https://hikikomori.blog/