L'asile et l'exil : deux histoires d'accueil

À Nancy, le 24 avril 2021, lors du rassemblement pour soutenir les migrants sous la mesure administrative d'obligation de quitter le territoire (OQTF).
À Nancy, le 24 avril 2021, lors du rassemblement pour soutenir les migrants sous la mesure administrative d'obligation de quitter le territoire (OQTF). ©Maxppp - Alexandre Marchi - PHOTOPQR/L'EST REPUBLICAIN
À Nancy, le 24 avril 2021, lors du rassemblement pour soutenir les migrants sous la mesure administrative d'obligation de quitter le territoire (OQTF). ©Maxppp - Alexandre Marchi - PHOTOPQR/L'EST REPUBLICAIN
À Nancy, le 24 avril 2021, lors du rassemblement pour soutenir les migrants sous la mesure administrative d'obligation de quitter le territoire (OQTF). ©Maxppp - Alexandre Marchi - PHOTOPQR/L'EST REPUBLICAIN
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Marie-France a toujours rêvé d'avoir des enfants, mais sa maladie l’en a empêché. Un jour, elle croise la route de Sidy et Cheikhou qui changent tout. Mudasir, lui, arrive en France à 14 ans, un peu par hasard. Par ennui, il se met à courir sur la plage, et une nouvelle vie commence pour lui...

Marie-France est veuve à la retraite. Elle habite à Concarneau dans le Finistère. À cause d’une maladie orpheline, elle n’a jamais pu enfanter. Dans son enfance, elle a été élevée par la compagne de son père, une bonne sœur défroquée :

Pour moi, il n’y a pas besoin d’être mère d’un enfant pour aimer un enfant.

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Après la mort de son premier mari, Marie-Jeanne a cherché par le biais de petites annonces un nouveau compagnon. Le fait qu’il soit père a été fondamental pour elle. Et ça marche : elle devient la belle-mère d’un enfant qu’elle adore. Toutefois, un jour d’avril 2016, sa vie s’effondre.

Je suis partie faire les courses, je suis revenu et il était mort. On n’a pas pu le réanimer.

Un an après la mort de son mari, deux jeunes hommes croisent sa route. Une éducatrice du centre dans lequel elle enseigne lui demande d’aider deux migrants avec leurs devoirs d’anglais. Ils ont 16 et 17 ans. Marie-France a d’abord peur : le mot et la notion de « migrants » l’intimident, mais la gentillesse prend le pas sur les clichés.

Le jour du cours, les deux adolescents, Sidy et Cheikhou, arrivent avec deux grands sourires aux lèvres qui stupéfient Marie-France. Originaires du Mali et de Gambie, ils vivent ensemble dans un appartement de Concarneau. Le temps passe et une relation de confiance naît entre les trois :

L’amour filial et maternel est arrivé, et je pense qu’on ne s’en est pas aperçu. Ça a été insidieux. Un jour, j’étais dans mon lit, et je me suis dit : « Et si tu les adoptais ? ». Quand je leur ai demandé, leurs yeux étaient comme des lunes tellement ils étaient ronds.

À réécouter : Délits de solidarité
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Sidy et Cheikhou acceptent. Marie-France commence son parcours dans le maelström administratif. En 2018, en vue de l’adoption de Sidy, elle consulte notaires et avocats, remplit quantité de papiers et se rend au tribunal :

Au tribunal, c’était l’horreur. Rien qu’en voyant les yeux du procureur, j’ai tout de suite compris que ce serait fichu. Le juge, pas mieux. Et finalement, ça a été refusé. Soi disant que j’aidais des migrants à avoir des papiers…

L’adoption simple d’une personne sans-papiers ne protège pas d’une potentielle expulsion, souligne Marie-France. Après une audience au tribunal administratif de Rennes, Sidy reçoit une OQTF (Obligation de quitter le territoire français) :

Là, c’était de la rigolade. Je ne sais pas pourquoi l’État français dépense de l’argent pour ça, car de toute façon, on ne peut pas gagner. 

La maladie dont souffre Sidy lui permet toutefois de recevoir un titre de séjour en août 2018. En attendant, Marie-France écrit des courriers, manifeste, fait des affiches et se rend à la préfecture pour défendre Sidy. « J’ai commencé à me bouger les fesses », confie-t-elle.

Toutes ses démarches finissent par payer. Après avoir fait appel de la décision du tribunal, Marie-France gagne :

Je suis devenue maman à 73 ans, faut le faire !

Pour autant, les ennuis ne disparaissent pas. La mère de famille essuie les critiques, les remarques et même les insultes :

J’ai eu beaucoup de : « fais attention, un jour tu vas te réveiller et t’auras la gorge tranchée ». Ça, c’est que j’ai entendu le plus. Or, quand on se réveille avec la gorge tranchée, en général on se réveille pas. […] J’ai jamais entendu autant de cochonneries de ma vie.

Malgré les critiques, Marie-France vit une très bonne vie de famille. Elle sait que ses enfants regrettent leurs pays d'origine :

C’est pas tous les jours facile d’avoir deux jeunes. Ils n’ont plus rien de l’Afrique. Par exemple quand ils mettent la table, alors que nous nous mettons la fourchette à gauche et le couteau à droite, eux font le contraire. Pendant des mois et des mois je remettais. Il n’y a pas très longtemps, mon Cheikhou m’a dit : « S’il te plait Marie-France, ne nous enlève pas ça. C’est la seule chose qui nous reste de l’Afrique ». Vous vous sentez mal quand on dit vous dit ça.

Après avoir adopté Sidy et Cheikou, Marie-France vise désormais deux autres objectifs...

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Mudasir, lui, arrive en France en 2016 à l’âge 14 ans. Il est issu d’une fratrie de neuf enfants. En 2015, alors que les tensions politiques saisissent l’Éthiopie, ses camarades de classe décident de partir :

Je n’ai pas choisi de partir, j’étais obligé. Je ne savais même pas où on allait, je les ai suivis.

Après être passé par le Soudan, l’Égypte et l’Italie durant son parcours migratoire, Mudasir arrive à Calais, où il reste environ six mois avant d’être envoyé à Sainte-Marie, près de Perpignan. Des bénévoles aident le groupe de réfugiés dont il fait partie.

Parmi eux se trouvent Corinne, la marraine de Mudasir. En 2016, elle fonde une association, Welcome 66, avant de rencontrer son filleul, en qui elle décèle un talent et une motivation. Mais Mudasir s’ennuie :

Je me suis dit que j’allais courir. Et j'ai commencé petit à petit, d’abord à côté de la maison. Je n’avais pas de chaussures ni de vêtements pour le sport. Je courrais comme ça.

Des bénévoles du centre d'accueil le remarquent aussitôt. On lui propose d’aller dans un club d’athlétisme. Mudasir accepte et commence à briller : il remporte des prix, gagne des médailles, des coupes, des championnats. Grâce à ses exploits, il est scolarisé en 2017 dans un collège perpignanais et intègre un centre d’entraînements. 

Toutefois, alors que sa nouvelle vie commence, Mudasir déchante :

Je pensais que j’allais aux championnats du monde. Sauf qu’on m’a dit que je n’étais pas Français, et que je ne pouvais pas y aller. Donc je n’étais pas trop content…

Les Pieds sur terre
28 min

Reportage : Clawdia Prolongeau

Réalisation : Yaël Mandelbaum

Merci à Marie-Jeanne et Sidy, à Mudasir, Sébastien Berriot et Corinne Grillet.

Musique de fin : "MESMERISING", Awa Ly - Album : Safe And Sound, 2020.

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