Dès 2008, dans une des plus grosses coopératives agricoles françaises, près de Guingamp, un insecticide interdit est répandu dans les silos de stockage des céréales, à l'issue d'une décision de la direction. Une chaîne de catastrophes s’enclenche, concernant aussi bien les hommes que les animaux.
À partir de 2008, dans une des plus grosses coopératives agricoles françaises, près de Guingamp, en Bretagne, à la suite d’une décision de la direction, un insecticide interdit est répandu dans les silos de stockage des céréales. Une chaîne de catastrophes s’enclenche, aussi bien pour les hommes que les animaux à qui sont destinés les céréales. Laurent, Stéphane et Pascal, ex-salariés de la coopérative, témoins et victimes, sont devenus les lanceurs d'alerte de ce scandale.
J'ai été intoxiqué ici, dans les silos. Sur ces lagunes, tous les ans il y avait plein de couvées. Maintenant il n'y a plus rien, plus de de canards, plus de poules d'eau, plus de souris. Plus rien ne naît.
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L'histoire de Laurent, Pascal et Stéphane pourrait ressembler à une fiction, un polar. Elle est pourtant bien réelle et se déroule dans une coopérative du nord de la Bretagne. Dans cette coopérative, entre autres activités, on fabrique de l'aliment pour le bétail, livré ensuite aux paysans bretons. À partir de 2008, la direction déverse des pesticides dans les silos où sont stockées les céréales.
Quatre ans après avoir quitté son entreprise, Pascal a toujours des frissons dans le dos. Il a travaillé 27 ans au même endroit. Il a le sentiment d'avoir donné de sa personne à cette entreprise, il ne comptait pas ses heures et il a néanmoins été mis à la porte à cause de la maladie qu'il a contractée dans le cadre de son travail.
On a été complètement abruti de travailler comme ça, avec le résultat qu'il y a au bout : se retrouver comme ça, licencié et avec la santé en moins.
Après une récolte de céréales trop humides, qui avait entrainé un surcoût de séchage, le personnel dirigeant de l'entreprise a décidé de faire des économies en coupant la ventilation du stock de céréales pendant la nuit.
Ça chauffait, ça proliférait, ça puait. Si vous en preniez une poignée de grains, il y avait plus d'insectes que de céréales. [...] Ils ont essayé d'incorporer le maximum de ces céréales dans les aliments, par tous les moyens il fallait qu'il y ait le moins de pertes possible.
La direction de cette entreprise décide donc d'incorporer un puissant insecticide dans ses gaines de ventilation. Le produit utilisé est hautement nocif pour la santé, et les employés s'en rendent compte : ce sont des bidons stockés sur place depuis des années, de grosses têtes de mort sont placardées sur les barils.
On a fait remonter toutes les informations à la direction. Tout le monde a constaté, personne n'a agit.
Les céréales ont été traitées avec des insecticides. Les employés ont été en contact avec les poussières et les sacs de céréales dégoulinants de pesticides.
On respirait tout ça. On avait des saignements, des vomissements, des diarrhées. Je prenais cinq ou six douches par nuit tellement ça me brulait de partout.
Les employés sont très fortement touchés, leur quotidien est contaminé par les produits chimiques auxquels ils sont exposés pendant la journée.
Mon bleu de travail, ma peau, tout était contaminé. J'avais mon gamin sur mes genoux et il a commencé à réagir, il avait des plaques rougeâtres sur le visage.
Les produits toxiques utilisés dans cette entreprise n'ont pas seulement intoxiqué leurs salariés, mais également leur entourage et leur environnement.
Un soir, j'ai posé mon bleu de travail à coté de notre bassin à poissons, à environ 50 cm de l'eau. Le lendemain, tous les poissons étaient morts, j'en avais à peu près une cinquantaine.
Evidemment, les agriculteurs qui reçoivent ces aliments renvoient la marchandise. Le lien est fait entre les céréales aux insecticides et le taux de mortalité des animaux qui les mangent, les fausses-couches, la baisse de ponte.
Tous les aliments retournaient en fabrication, ils étaient re-dilués, rien n'était perdu et ça repartait chez le client. Il ne savait pas ce qu'il mangeait, enfin ce que ses cochons mangeaient.
Les trois hommes tombent d'accord, tout le monde sait mais l'omerta demeure. Au fur et à mesure du temps, ils ressentent les effets de l'intoxication qu'ils ont subi. Entre les brûlures, les insomnies, les sueurs, le mal de tête, les bronches prises...
La mutuelle agricole a tout fait pour protéger l'entreprise et nous discréditer. Elle nous a dit que ça ne servait à rien de porter plainte contre l'employeur.
Une fois que les effets physiques se font sentir, les employés sont licenciés, car ils sont malades et sont donc jugés inaptes à leur poste.
On n'a demandé qu'à travailler et du jour au lendemain on se retrouve tous malades.
Quatre ans plus tard, ils ne reçoivent plus que 800 euros par trimestre pour l'accident du travail dont ils ont été les victimes.
L'affaire prend de l'ampleur à travers les médias. Les employés victimes de leurs conditions de travail prennent contact les uns avec les autres, mais ceux qui sont encore en poste ont peur de perdre leur emploi.
Une dizaine de collègues, encore en activité, nous ont raconté ce qu'ils ont vu et ressenti. Ils m'ont vu saigner sur mon lieu de travail, ils ont vu les oiseaux morts qu'on retrouvait sur les fosses.
Laurent, Stéphane et Pascal sont là en tant que lanceurs d'alerte, c'est seulement la deuxième fois en France que la faute inexcusable est prononcée au tribunal pour des pesticides.
Chez moi aujourd'hui je n'ai plus aucun produit chimique, plus aucun désherbant, fongicide, insecticide, plus aucun nettoyant industriel. J'arrive à me débrouiller avec du vinaigre et je fais mon jardin où je sais ce que je mange.
Inès Léraud a tenté d'obtenir des explications de la part de l'entreprise qui a répandu des insecticides dans ses céréales, sans succès.
Des nouvelles :
Plus de dix ans après, sachez que plusieurs employés ayant travaillé sur un autre site du même groupe dans les Côtes-d’Armor et ont été empoisonnés par des produits toxiques. Ils ont fini par gagner leur combat judiciaire contre l’entreprise agroalimentaire.
- Reportage : Inès Léraud
- Réalisation : Delphine Lemer et François Caunac
Merci à Pascal, Laurent, Claude, Serge Le Quéau, Maître Lafforgue, Yvan Turk et Hervé Evanno. Cette émission a été réalisée en partenariat avec L'Humanité.
Musique de fin : "Fragile", Sting - Album : Nothing like the sun, 1987 - Label : A & M.
Première diffusion : 18/12/2014
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