Les guerrières victorieuses de l'hôtel Ibis

17 octobre 2019 : rassemblement des femmes de chambres de l'Ibis Batignolles devant le siège du groupe Accor.
17 octobre 2019 : rassemblement des femmes de chambres de l'Ibis Batignolles devant le siège du groupe Accor.  ©Maxppp - Vicent Isore - IP3 Press
17 octobre 2019 : rassemblement des femmes de chambres de l'Ibis Batignolles devant le siège du groupe Accor. ©Maxppp - Vicent Isore - IP3 Press
17 octobre 2019 : rassemblement des femmes de chambres de l'Ibis Batignolles devant le siège du groupe Accor. ©Maxppp - Vicent Isore - IP3 Press
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À l’hôtel Ibis Les Batignolles, les femmes de chambre employées en sous-traitance ont obtenu le 25 mai dernier de meilleures conditions de travail et une augmentation de leur salaire après une grève de 22 mois. Sylvie, femme de chambre et Rachel, gouvernante, racontent ce conflit et leur lutte.

Le 25 mai dernier, c’est la liesse. On crie victoire, on se réjouit. Les voix s’unissent au son des slogans : « L’esclavage, c’est fini », « La maltraitance, c’est fini ». Les femmes de chambre de l’hôtel Ibis Batignolles ont eu gain de cause après une grève longue de 22 mois.

Sylvie et Rachel sont deux des grévistes. Elles travaillent respectivement à l’Ibis Batignolles depuis 2013 et 2003. Sylvie est femme de chambre : chaque jour, elle est chargée de nettoyer des dizaines de chambres en les passant au peigne fin. Rachel, quant à elle, est gouvernante : elle est chargée de contrôler le travail des femmes de chambres. À l’hôtel Ibis, elle s’occupe de trois étages, et le mot d'ordre a toujours été d’aller vite :

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Il y a des clients qu’on appelle Inspecteur Colombo car ils regardent tout. S’ils trouvent un poil, ils peuvent aller à la réception, et ça peut te valoir un licenciement.

La sous-traitance nous demande de faire 17 minutes par chambre. Alors on fait 17 minutes. […] On peut dire que la sous-traitance c’est de la maltraitance car chaque sous-traitant arrive avec sa façon de faire, et nous, leur façon de faire ça nous plait pas, car c’est une manière d’exploiter les femmes. On faisait 50 chambres par jour ! À la fin de la journée on ne sent plus notre corps. Et les heures supplémentaires n’étaient pas payées.

Les Pieds sur terre
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Pendant plusieurs années, les femmes de chambre ont connu des menaces et pressions hiérarchiques, en plus de la fatigue induite par la pénibilité de leur travail. Elles se sont longtemps tues car elles ne connaissaient pas leurs droits. Néanmoins, c’est quand leurs supérieurs ont voulu faire muter 11 collègues qu’elles se sont décidées à agir :

On s’est dit « stop, c’est bon ». On a arrêté le boulot, mais on a cherché un syndicat avant parce qu’on ne savait pas quoi faire. On voulait aller voir les grosses têtes, les gros morceaux, les grands personnages.

Le 17 juillet 2019, la grève commence. Rapidement, une solidarité naît entre les femmes grévistes, qui ont aussi démarché les civils et d’autres collectifs pour se faire entendre. Certains mouvements sociaux et organismes, comme les colleuses parisiennes ou les gilets jaunes, les ont soutenues. Pendant huit mois, elles ont ainsi fait le piquet pour faire valoir leurs droits, jusqu’au début du premier confinement…

Collage rue de Rivoli.
Collage rue de Rivoli.
© Radio France - Martine Abat
Le Temps du débat
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Dès le mois de mars 2020, les guerrières ont dû trouver un moyen pour poursuivre leur lutte. Elles ont habilement contourné  le système des attestations en allant protester au gré de leur heure de liberté quotidienne. Une de leurs actions a été de répandre des confettis faits maison dans le Pullman Tour Eiffel, un hôtel réputé du groupe Accor :

Vous imaginez pas le degré de confettis qu’il y avait. Dans le hall, les ascenseurs, la réception, tout était rempli de confettis. Il y en avait partout. Ça m’a beaucoup plu, ça. On a aussi laissé de bons souvenirs au patron !

Les revendications des femmes de chambre sont simples : être « internalisées », c’est-à-dire être salariées du groupe Accor pour faire cesser la sous-traitance, ou obtenir au moins des conditions de travail plus décentes et moins aliénantes. Car leur grande précarité, expliquent-elles, réside surtout dans l’exploitation qu’elles subissent en tant que femmes racisées, noires, arabes ou asiatiques :

Moi, dans les hôtels que j’ai faits, il n’y a pas de blanches qui font le lit.

Ces femmes sont maltraitées. Dans ce métier, la femme perd totalement sa dignité. Les gens profitent même de ce métier pour pouvoir violer des femmes.

En raison de la pandémie, les guerrières de l’hôtel Ibis n’ont pu avoir accès à leurs premières revendications : un plan de licenciement, concernant 700 postes, a été décidé par la direction du groupe Accor. Toutefois, elles ont réussi à obtenir une augmentation salariale, de 200 à 500 euros, une baisse de cadence et la fin des mutations, entre autres.

On ne peut pas dire qu’on a rien eu. On a vraiment eu de bonnes choses !

Fortes de leur lutte sans faille et de leur mobilisation, les femmes de chambre exhortent leurs collègues de tous horizons à suivre leur démarche contre cet forme d'esclavagisme moderne :

Ce qui se passe n’est pas seulement à l’hôtel Ibis, mais partout en France. Les femmes doivent suivre l’exemple. […] Les droits, il faut aller les arracher, et c’est ce qu’on a fait.

À réécouter : Ménages
Les Pieds sur terre
28 min
  • Reportage : Martine Abat
  • Réalisation : Émily Vallat
  • Mixage : Bastien Varigault

Merci à Ester Sylvie Kimissa, Rachel Keke, Mehdi, Tiziri Kindi, Marilyne Poulain, Slim Ben Achour, Maude Beckers et Bobbyodet.

Musique de fin : "Princesses", Karimouche - Album : Folies Berbères, 2021.

Musique chantée par les guerrières de l'hôtel Ibis : "Dur Dur Ménage" par BOBBYODET et les grévistes de l'IBIS Batignolles.

Pour aller plus loin : l'histoire d'une grève de 22 mois

  • « Parfois on pleure, tellement nous sommes fatiguées » : avec les femmes de chambre grévistes de l’hôtel Ibis, Le Monde, 24/07/2019.
  • A l’hôtel Ibis, les femmes de chambre grévistes sont « malades du travail », Mediapart, 01/08/2019.
  • En France, la grève des femmes de ménage d'un hôtel parisien, TV5 Monde, 09/08/2019.
  • Femmes de chambre en grève à l’hôtel Ibis : « La sous-traitance, c’est la maltraitance », Reporterre, 08/01/2020.
  • « On n’a pas tenu 14 mois pour lâcher maintenant » : à l’Hôtel Ibis Batignolles, la longue lutte des femmes de chambre, Le Monde, 28/09/2020.
  • Les femmes de chambre grévistes de l'hôtel Ibis Batignolles crient victoire, Capital, 25/05/2021.

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