En 2021, plus de 50 000 personnes ont embarqué à bord de "small boats" pour tenter de rejoindre les côtes anglaises. Seules 28 000 y sont parvenues. A Calais ou à Dunkerque, les équipes de sauvetage et les associations veillent, prêtes à intervenir en cas de naufrage.
Les traversées clandestines de la Manche, sujet de vives tensions entre les autorités françaises et britanniques, sont devenues une préoccupation majeure pour les secours en mer. En 2021, d'après le ministère français de l'Intérieur, plus de 50 000 personnes ont embarqué à bord de “small boats”, mais seulement 28 000 sont parvenues jusqu'à l'Angleterre. Ces embarcations de fortune sont en effet peu résistantes aux aléas d’une traversée aussi périlleuse, surtout en pleine nuit.
"Ces morts ont un nom, un prénom, une famille"
Associations et services de secours multiplient les patrouilles pour tenter de sauver ces personnes de la noyade ou pour ramener leur corps sans vie sur terre, afin de prévenir leur famille et de les inhumer dignement. Mariam Guerey, 53 ans et salariée au Secours Catholique à Calais, se souvient notamment de Behzad, un Iranien de 31 ans dont le corps a été repêché dans la Manche. En allant se renseigner auprès d’autres rdans un camp, Mariam a réussi à contacter la famille de Behzad restée en Iran et a organisé des funérailles chiites à l’aide de la communauté iranienne de Calais. La famille suivait la cérémonie à distance, sur WhatsApp.
“Quand il était au bord de la mer, il a passé un coup de téléphone à son père et lui a dit : “Quand j'arrive de l'autre côté, je t'appelle”.” Mariam
"C'était terrible, je me sentais impuissante"
Pour éviter ces drames, les associations et les services de sauvetage en mer s’organisent. Anna Richel, 28 ans, est coordinatrice de l'antenne Utopia 56 à Grande-Synthe, à côté de Dunkerque. Cette association, créée en 2015 à Calais, vient en aide aux réfugiés, en leur distribuant de la nourriture, en leur proposant des solutions d’accueil, et en les accompagnant dans leurs démarches. Anna décrit le campement de Grande-Synthe qui regroupe près de 400 personnes en attente de passer la frontière anglaise, et qui survivent dans une grande précarité.
“À partir du printemps 2020, le nombre de traversées a augmenté, ainsi que le nombre d'appels de personnes en détresse en mer après une tentative de passage.” Anna Richel
Une nuit, Anna et ses collègues reçoivent un de ces appels et se précipitent vers la côte, où ils sont témoins d’une situation dramatique. Une soixantaine de migrants tentent de quitter une embarcation qui prend l’eau. Certains sautent, d’autres, ne sachant pas nager, restent bloqués, mais tous sont pris de panique.
“Ils ne savaient même pas à combien ils étaient montés. Dans ces situations, il y a des personnes qui peuvent disparaître en mer, et personne ne sait qu’elles ont été là.” Anna Richel
"Je suis aux aguets 24 heures sur 24, 7 jours sur 7"
Les passagers des “small boats” risquent leur vie à tout instant, comme l’explique Laurent Descatoire, 60 ans, sauveteur en mer à Dunkerque. Non seulement ils risquent d’être percutés par les immenses porte-conteneurs, mais en tombant dans une eau à moins de dix degrés, ils courent un grave danger d’hypothermie.
“Certains sont en route depuis plusieurs années, ont fait des milliers et des milliers de kilomètres et donc quand ils arrivent sur le littoral du Nord-Pas-de-Calais, il ne leur reste plus que 30 ou 40 kilomètres à faire pour arriver en Angleterre : ils sont prêts à traverser coûte que coûte.” Laurent Descatoire
C’est pourquoi Laurent jette toujours un œil en direction du large, même lorsqu’il est chez lui, sur la digue de Malo-les-Bains. S’il est témoin du moindre accident, il donne l’alerte.
Une prise en charge encore insuffisante
Malgré le travail conjoint des services de secours et des associations, la situation des exilés sur les côtes françaises reste très critique.
“Les trois quarts du temps, une fois que ces personnes sont ramenées au port, elles sont livrées à elles-mêmes. La prise en charge est quand même un peu inexistante.” Laurent Descatoire
En 2017, le département du Pas-de-Calais a ouvert un Centre d’Accueil et d’Evaluation des Situations (CAES) à Belval. “Site de court séjour”, le centre a pour but d’orienter les exilés dans d’autres centres d’accueil, s'ils font une demande d’asile. Selon l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii), 9 779 places d'hébergement ont été proposées en 2021, essentiellement dans les Hauts-de-France (98 %) et 6 950 personnes ont été hébergées. Une augmentation en lien avec celle du nombre de migrants depuis 2020, mais qui est encore loin de recouvrir l’ensemble des besoins. De plus, depuis septembre 2020, la ville de Calais sanctionne de 135 euros les bénévoles distribuant de l’eau et de la nourriture aux exilés.
Merci à Laurent Descatoire, Anna Richel, Pauline Joyau, Alain Ledaguenel, Juliette Delaplace et Mariam Guerey.
- Reportage : Judith Chetrit
- Réalisation : Emmanuel Geoffroy
Musique de fin : "Sympathy" de The Goo Goo Dolls
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