Livreurs : le droit du travail en roue libre

Cousier à vélo
Cousier à vélo ©Getty - Picture Alliance
Cousier à vélo ©Getty - Picture Alliance
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Jules, trente ans, est devenu livreur à vélo pour la start-up Frichti, une plateforme de livraison de repas. Il témoigne de son quotidien et dénonce des conditions de travail déshumanisées.

"Vous n’êtes que 437e sur 2000, roulez un peu plus vite." Un email reçu par Jules

Jules Salé, trente ans, cherche du travail pour financer son permis de conduire. Il décide de devenir coursier à vélo pour des plateformes de livraison de repas, enthousiasmé par la flexibilité promise.

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Ne pas avoir d’horaires, c’est le rêve absolu. Je me suis dit que l’eldorado s’ouvrait à moi. J’ai fait mon statut d’auto-entrepreneur, ça m’a pris vingt-quatre heures. 

Il s'inscrit sur toutes les plateformes de livraison et reçoit une première réponse de la plateforme Frichti, start-up de livraison de repas à domicile, pour laquelle il commence à travailler. Jules, enchanté à l'idée d'être son propre patron et d'avoir des horaires flexibles, déchante très vite. 

Quand j’arrive dans le hub pour commencer ma tournée, je scanne un QR code avec mon smartphone. L’ordinateur reconnaît ma présence dans le hub, c’est lui qui me dit les livraisons à effectuer. Je n’ai besoin de parler à personne. 

Les Pieds sur terre
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Jules raconte les objectifs de temps de trajet impossibles à tenir, l’obsession de la vitesse, la concurrence entre les livreurs et le rythme effréné des courses qui conduit à l’épuisement.

Quand est-ce que je peux faire une pause ? Ma manager me répond : "Quand il n’y a pas de boulot”.

Jules dénonce ces conditions de travail qui, sous couvert de flexibilité, mettent en péril les droits des travailleurs.

On n’est pas salarié, on est un associé de la plateforme. On n’a pas d’arrêt maladie, pas de chômage, pas de mutuelle. Tout est à nos frais, y compris le casque de vélo et les lumières de sécurité. (...) On va se retrouver dans une société à deux vitesses avec les gens qui ont droit à un vrai emploi et les sous-emplois. Jules

Le marché français de la livraison de repas à domicile était estimé à 3,3 milliards d'euros en 2018 et il devrait doubler d'ici 2022 d'après Food Service Vision

Au début, la start-up française Frichti, où travaille Jules, se démarque avec des plats préparés maison, frais et équilibrés, un repas complet pour 15 €, une livraison 100% écolo et surtout des livreurs tous salariés. Mais rapidement Frichti se dit contraint de renoncer au salariat pour l’auto-entreprenariat, le statut plus que précaire des autres livreurs, chauffeurs Uber ou des ramasseurs-rechargeurs de trottinettes électriques. 

Malgré cela, l’entreprise continue de se définir comme le "livreur du bonheur".  Sa co-fondatrice y tient beaucoup et a même écrit un livre : Des patrons inspirants pour un monde meilleur. Dans son post Facebook, le livreur Jules Salé lui écrit au contraire : "Faut-il balayer deux siècles d’acquis sociaux pour satisfaire des cadres dynamiques qui veulent garder la ligne en mangeant des carottes râpées emballées dans trois boîtes en plastiques livrées en sept minutes à leur agence de design par des esclaves à vélo ?".

  • Reportage : Rémi Dybowski Douat
  • Réalisation : Clémence Gross

Merci à Jerôme Primot et Jules Salé.

Chanson de fin : "Nisyan" de Ahmed Fakroun.

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