Il y a dix ans, Amira a quitté l’Algérie par amour de la culture française et pour étudier la physique fondamentale à Paris. Elle réussit brillamment ses études, mais dix ans après son arrivée, au moment de renouveler son titre de séjour, Amira reçoit une lettre qui va changer le cours de sa vie.
"La décision d'éloignement ou d'obligation de quitter le territoire français est prise par le préfet, notamment en cas de refus de délivrance de titre de séjour ou de séjour irrégulier en France. Si vous êtes concerné, elle vous oblige à quitter la France par vos propres moyens dans un délai de 30 jours. Dans des situations limitées, elle peut aussi vous obliger à quitter la France sans délai. Un recours est possible."
Cette définition, c’est ce qu’on peut lire sur le site du gouvernement, à la page “Obligation de quitter la France (OQTF)”. A priori, rien de plus clair. Sont concernés les étrangers entrés irrégulièrement en France, ceux qui n’ont pas fait renouveler leur visa ou à qui le titre de séjour a été refusé, ceux qui travaillent clandestinement, les demandeurs d’asile dont la demande a été rejetée, et, enfin, ceux qui représentent "une menace pour l’ordre public" et qui résident en France depuis moins de trois mois.
Quelques exceptions cependant : si vous êtes un mineur isolé, si vous êtes marié depuis au moins trois ans avec un.e Français.e, si vous vivez en France depuis plus de dix ans, entre autres, alors "l’administration ne peut pas vous obliger à quitter la France".
La liste des règles et des exceptions est longue, et les conditions parfois alambiquées, mais pourtant Amira pensait avoir tout juste. Cette Algérienne amoureuse de la langue et de la culture française décide après le bac de faire ses études en France, comme ses parents, tous deux chercheurs, avant elle. Acceptée à la faculté d’Orsay à Paris, puis à la faculté de Lyon, la jeune fille peut se targuer d'un parcours d’excellence en physique fondamentale. En 2020, elle soutient une thèse qui lui vaut les félicitations du jury.
Établie à Lyon et mariée avec un Algérien également Lyonnais d’adoption, Amira a construit sa vie en France. C’est donc tout naturellement qu’à la fin de ses études, elle cherche et trouve aisément un poste d'ingénieure dans la région. Seulement, au moment de renouveler son titre de séjour, Amira reçoit une lettre qui vient bouleverser ses projets d’avenir.
"J'ai la main qui tremble. Je vois que ça vient de la préfecture. Je ne me sens pas très bien. Je commence à monter les escaliers, à lire la lettre et là, plus je monte les escaliers, plus mon cœur se serre. Et lorsque j'arrive au bout de la lettre, je m'effondre dans les escaliers. Arrêtez, c'est pas possible. Il y a une erreur. On me refuse le statut, mais en plus, on me demande de partir chez mes parents en Algérie. C'est ce qu'on appelle une obligation à quitter le territoire français. OQTF." Amira
En effet, toujours sur le site officiel du gouvernement, on peut lire que "l’administration ne peut pas vous obliger à quitter la France" si "vous séjournez régulièrement en France depuis plus de dix ans", ce qui est bien le cas d’Amira. Sauvée ? Non, car la jeune fille a toujours bénéficié d'un statut d'étudiante sur le sol français : "(sauf si vous avez été titulaire pendant toute cette période d'un titre de séjour étudiant)". Cette parenthèse qui fait un sort aux étudiants étrangers condamne donc Amira, résidente en France depuis dix ans, mariée en France, docteure de l'université française et fraîchement recrutée pour un poste à responsabilités, à renoncer à la vie qu’elle s'était imaginée.
Amira décide alors de contester l’OQTF qui lui a été adressée, comme il est possible de le faire. Elle commence à rassembler des preuves indiquant qu’elle "mérite" d’être régularisée, qu’elle est "intégrée", "sérieuse", qu’elle a "de la valeur" et qu'elle "peut apporter quelque chose à la société française”, mais aussi que son mariage est un vrai mariage.
"Je ne pensais pas me retrouver dans une telle situation à vingt-neuf ans." Amira
Quand arrive le jour du procès, Amira est aux côtés de soixante autres personnes en situation irrégulière, qui ont toutes reçu une OQTF, pour différentes raisons. Mais après avoir entendu toutes les audiences, une chose est sûre pour la jeune femme : "Personne ne méritait de recevoir d’OQTF." Son dossier est expédié en "quelques minutes" à peine.
"Je suis sortie persuadée que mon dossier serait rejeté. Certains passent, d’autres non. C’est une loterie." Amira
Et Amira avait manifestement raison de croire en son intuition. A l'issue du procès, on lui refuse sa demande de titre de séjour, une nouvelle fois, sous prétexte que sa relation avec son mari semble "factice" et ne peut donc constituer un argument en sa faveur.
"Pour moi, OQTF, c'était, je sais pas, pour des personnes qui avaient commis quelque chose sur le sol français ou qui étaient venues de manière illégale. C’était peut-être une vision naïve, mais il fallait quelque chose qui justifiait qu'on leur demande de partir. C'était pas pour une personne qui vient d'avoir son doctorat." Amira
Désemparée, Amira se sent "réduite à sa nationalité" et "traitée comme une criminelle" dans un pays qu’elle aime depuis toujours et dans lequel elle s'apprêtait à travailler.
"J'aurais pu être l'exemple d'une immigration choisie." Amira
La jeune femme s'imagine difficilement retourner vivre aujourd'hui en Algérie, un pays qui a "énormément changé" depuis dix ans et auquel elle a du mal à s’identifier. Reste que la perspective de rassembler une fois de plus toutes ses forces pour faire un second recours ne l’enchante guère.
"J’ai fini par faire une dépression. Ça m'a beaucoup, beaucoup, beaucoup affectée." Amira
La jeune femme sait qu’elle va devoir partir et se résigner à reconstruire sa vie ailleurs. Blessée et désillusionnée, elle prépare désormais son départ, le cœur lourd.
"Est-ce que je veux vraiment rester, ou revenir, dans un pays qui m'a traitée comme ça ?" Amira
Merci à Amira.
Reportage : Sophie Simonot
Réalisation : Emmanuel Geoffroy
Chanson de fin : "Crossroads" de Tracy Chapman.
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