Ils ont 14, 16 et 22 ans, ils suivent le foot et parient sur les matchs, pour gagner un peu, voire beaucoup d'argent. Mais rapidement, l'appât du gain est remplacé par le goût du risque. Joueurs compulsifs ou parieurs méthodiques, ils racontent comment ils tentent de s'imposer des limites.
“Tout le monde aimerait devenir riche !”
Si Walid, quatorze ans, a commencé à parier, c’est pour se payer un IPhone. Ou plutôt, pour le rembourser à une amie qui lui en a laissé l'usage. Comme il a abîmé le téléphone, il n’a pas le choix : il doit trouver de l’argent. Et selon son ami d’enfance Cyril, en demander à ses parents, c’est un peu compliqué : “Je préfère éviter de lui parler de ça. Il y a des gens qui ne sont pas dans le luxe.”
Walid et Cyril ont grandi à Bagnolet, en banlieue parisienne. Walid joue dans un club de foot, et c’est là qu’un camarade lui a parlé des paris sportifs. Alors Walid a commencé à parier sur son téléphone, et à s’organiser pour réussir à récupérer ses tickets dans les tabacs alors qu’il est mineur.
“Pour parier, il a une application, il mise. Il rentre pas dans le tabac. Il y a des jeunes qui traînent devant le tabac, donc il leur passe son téléphone. Il y a un QR code. Le jeune va au tabac, il scanne le QR code et ça sort un ticket. Le jeune ressort avec le ticket et il le rend à Walid. Et après, tout dépend des matchs sur lesquels il mise. S'il gagne tout, il gagne une somme. Et s'il perd juste un match de tout ce qu'il a misé... Il a perdu le ticket.” Cyril
C’est aussi la stratégie de Sami, qui a commencé à parier alors qu’il était mineur.
“Au début, ça commençait tout bêtement avec des petits jeux à gratter, à un euro. Mais plus l'âge monte, plus on a de l'argent, plus on joue.” Sami
En effet, cet amateur de foot s’est rapidement intéressé aux paris sportifs, perfectionnant de plus en plus sa connaissance des équipes et des règles du jeu pour pouvoir affiner ses prédictions. Il explique que si sa motivation première a été l’argent, très vite, c’est ce qu’il appelle “le vice du jeu" qui a pris le relai.
“Le vice du jeu, c’est pas absolument l'argent. Bien sûr, l’argent y contribue, mais c'est pas exactement ça. C’est l’adrénaline du jeu. Regarder un match comme si tu étais au stade, avec l’équipe. C’est une ferveur en moi, une petite flamme.” Sami
Finalement, l’argent ne rentre quasiment plus en compte dans son désir de parier.
“Je me demande si un jour je suis très bien financièrement dans ma vie, est-ce que je continuerai ? J'espère que non, mais je pense que oui.” Sami
Il y a cependant des jeunes qui, comme Mathis, sont "animés par l’argent". Quand il a parié pour la première fois, à seulement dix ans, Mathis ne rêvait que d’une chose, “se faire son petit argent de poche”. Quand, en vacances à Biscarosse, il gagne dix fois sa mise, il commence à avoir “le pari facile”. Le jeune homme de seize ans est aujourd’hui en alternance. Lui qui voit son père travailler dur pour gagner un salaire qui ne lui permet pas de “profiter de la vie” multiplie les activités lucratives. En plus de parier, il est “receleur” sur Vinted, une application qui permet de revendre des vêtements de seconde main. Il songe aussi à se lancer dans la cryptomonnaie.
"Quand tu as beaucoup d'argent, tu te sens sécurisé. Tu te sens bien parce que tu ne stresses pas." Mathis
"Je n'arrive pas à accepter la défaite.."
Cependant, même le plus fin stratège peut se laisser dépasser. Mathis explique par exemple comment il a été obligé de se limiter aux paris dans les tabacs : le fait de devoir se déplacer physiquement lui permet de “garder le contrôle sur ses émotions” et d'éviter les paris compulsifs. Un danger dont Sami est bien conscient.
“En fait, je fais partie des joueurs compulsifs qui par exemple jouent cinquante, les perdent et directement qui vont remettre cinquante euros pour essayer de récupérer leur perte.” Sami
C’est quand il commence à fréquenter les casinos, à ses dix-huit ans, que Sami se rend compte qu’il a développé une véritable “addiction au jeu” et qu’il n’arrive pas à s’arrêter.
“A un moment, en peut-être vingt minutes, j'ai claqué 1 500 euros comme ça. Je ne m'en suis pas rendu compte, j’ai sorti des billets de ma poche. Et là, je me suis dit : il faut arrêter tout ça.” Sami
Même s’il renonce aux casino, Sami avoue ne pas réussir à arrêter totalement les paris sportifs. Surtout que les sites Internet développent des stratégies marketing particulièrement efficaces et retorses pour accrocher leurs clients, par exemple en offrant de l’argent aux joueurs même lorsque leur pari est perdant - pour les inciter à parier toujours davantage...
Comme Mathis, Sami doit alors développer des stratégies d’auto-limitation. Il apprend peu à peu à se restreindre, à savoir s'arrêter au bon moment.
“Plus je mûris, plus je sais qu’il y a des limites que je ne peux plus franchir.” Sami
Néanmoins, si Sami, à vingt-deux ans, semble faire preuve d'un minimum de recul, le jeune Walid, qui a seulement quatorze ans, ne peut pas en dire autant. “Il m'a dit qu'il était pour continuer, même après avoir payé le téléphone...”, raconte son ami Cyril, inquiet de ce nouveau goût pour le jeu et des conséquences néfastes qu'il pourrait avoir sur la vie de Walid. C’est pour cela qu'il a décidé d’intervenir.
“Je lui ai dit, qu'il le veuille ou pas, si j'apprends qu'il continue les paris après avoir acheté son téléphone, je le dirai à sa mère. C’est pour son bien. Je suis derrière lui, je suis là pour lui.” Cyril
Merci à Jules et Sami, Adnane, Adlène et Mathis, Cyril, et le travail fait par le Bondy Blog et Latifa Oulkhouir depuis plus d’un an.
Reportage : Alice Babin
Réalisation : Emmanuel Geoffroy
Chanson de fin : "Snow (Hey Oh)" des Red Hot Chili Peppers.
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