En décembre 2020, le géant pharmaceutique français affirme que ses essais vaccinaux ne sont pas concluants. Quelques semaines plus tard, l’entreprise annonce une vague de licenciements, malgré une année riche en bénéfices. De quoi alimenter la colère et la détresse des salariés.
C'est le 11 décembre 2020 : Sanofi annonce que ses essais vaccinaux ne sont pas concluants. Le leader mondial dans le domaine des vaccins essuie un grand échec. Son vaccin devait initialement sortir entre mai et juin 2020, selon le directeur français. Mais les mauvaises nouvelles se sont enchaînées dans les communiqués.
Fabien Mallet, technicien en contrôle qualité, avoue être surpris par l’échec du fleuron de l’industrie pharmaceutique française. Un premier communiqué a révélé un problème dans la phase 2 ; plus tard, un second a déploré l’inefficacité du vaccin chez les patients âgés de plus de 50 ans.
En interne, je vous avoue qu’on s’est tous demandé comment c’était possible...
En réalité, les vaccins ont été sous-dosés. Les employés sont effrayés et décontenancés :
On s’est planté sur une erreur de débutant. Puis on a vu arriver les concurrents, avec des technologies plus innovantes, comme l’ARN messager et des choses comme ça. On s’est tous souvenu que ce sont des sujets dont on parle depuis longtemps, et dont Sanofi ne s’est pas emparé.
Comment expliquer un tel échec ? Fabien relève tout d’abord que Sanofi a bien changé en l’espace de vingt ans. D’une firme à l'image positive et « éthique », l’entreprise est devenue plus cynique.
Ça a changé quand Sanofi a commencé à avoir des directeurs généraux qui étaient des financiers. En interne, on est passé de « patient » à « client ». C’est un marqueur très important.
La deuxième bascule, elle, est d’ordre financier : puisque les pactes d’actionnaires veulent la plus grande rentabilité possible, la recherche est moins hardie. Les prises de risques sont ainsi limitées, dans le seul but de satisfaire les actionnaires.
Selon Anne Perrot, membre du Conseil d’Analyse Économique, le « retard français » de Sanofi ou de l'Institut Pasteur n’est guère surprenant. Il trouve d’ailleurs une explication dans le changement d’organisation du secteur :
Désormais, c’est beaucoup plus dans les biotechs, des start up de la bio-technologie, que se situe l’innovation.
Sanofi a échoué dans les deux voies vaccinales possibles : le vaccin classique, que l’entreprise maîtrise parfaitement d’ordinaire, et la nouvelle technique de l’ARN messager, option choisie par Pfizer et Moderna. Dans cette deuxième voie, Anne Perrot souligne que tout est affaire de collaboration entre trois acteurs : les laboratoires, les start up et les universités. Par exemple, la start up allemande Bio’N’Tech s’est associée au laboratoire Pfizer. Le groupe AstraZeneca, quant à lui, a collaboré avec l’université d’Oxford.
Le problème est le suivant : en France, le lien entre les laboratoires et les start up laisse à désirer… La rémunération de la recherche, bien inférieure à la moyenne des pays de l’OCDE, ne vient pas arranger les choses :
La place de la France, en particulier au cours de la pandémie, est un peu le produit de tous ces facteurs…
L’enquête continue rue de la Boétie, devant le siège français de Sanofi, le 4 février dernier. Un simulacre de procès est organisé par les manifestants : en six ans, l’entreprise a mené cinq plans sociaux. La perte de chercheurs s’évalue à environ 3000 postes. Dans le plan social en cours, 1700 suppressions sont envisagées. La France est concernée par 1000 d'entre elles, dont 364 postes de chercheurs.
Pour les salariés, les nouvelles ne sont pas bonnes. Certains s’interrogent d’ailleurs :
Que va-t-il se passer dans trois, cinq ou dix ans ? Est-ce que ma spécialité va encore exister ? Est-ce que je vais devoir changer radicalement de métier ?
Comme d'autres, Véronique apprend que son poste va être supprimé. Arrivée en novembre, elle doit déjà refaire ses cartons :
C’est quand même inédit de faire un plan social de cette ampleur alors qu’on vient d’en terminer un. Ça, on ne l'avait jamais vu.
La colère augmente quand les salariés apprennent que 2020 n’a pas été avare d’argent : Sanofi a enregistré un bénéfice de 12,3 milliards d’euros, correspondant à une hausse de 340% par rapport à 2019. Les chercheurs fulminent.
Chez certains salariés de Sanofi, la fierté a peu à peu fané. C’est le sentiment de Sarah, une passionnée de science de 48 ans. Après avoir quitté sa ville pour un autre site, elle apprend en janvier 2021 que son métier est finalement supprimé. Elle doit donc changer de filière ou de métier.
Avant, j’étais très fière de travailler chez Sanofi. On le disait facilement, et le regard des autres disait que c’était bien. On avait des valeurs. Mais maintenant, je ne le dis plus. Je dis que je travaille dans l'industrie pharmaceutique, et c’est tout. Je vois que le regard des gens a changé. Avec le coronavirus et le vaccin, ça a dégringolé, et avec tous les licenciements depuis 2 ans, je n'ai pas envie de dire que je travaille chez Sanofi.
Reportage : Clawdia Prolongeau
Réalisation : Cécile Laffon
Merci à Fabien Mallet, Véronique Roujean, Pascal Collemine, Laurence Titeux et tous les autres salariés ou anciens salariés de Sanofi qui ont accepté d'échanger avec nous, même hors micro. Merci également à Anne Perrot et Nathalie Coutinet, et un grand merci à Erwan Benezet.
Musique de fin : "Le Triangle des Bermudes", Chapelier Fou - Album : Le Triangle des Bermudes - Single, 2019 - Label : Ici d'ailleurs.
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