Showbiz : les nouveaux pauvres

Un sans-domicile fixe devant une boutique.
Un sans-domicile fixe devant une boutique. ©Getty - François Lochon
Un sans-domicile fixe devant une boutique. ©Getty - François Lochon
Un sans-domicile fixe devant une boutique. ©Getty - François Lochon
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Fifi est bassiste : il enchaîne les dates de concert, joue avec des stars, mène la grande vie. Clotilde, elle, est mannequin. Elle a toujours désiré et aimé cette vie de luxe. Quand la pandémie est arrivée, tous deux ont été amenés à vivre une vie qu’ils ne pensaient jamais devoir vivre.

Fifi a 56 ans. C’est un musicien qui « fait le métier », un musicien doué qui tourne bien, et qui a accompagné avec sa basse des artistes extrêmement connus : Diane Dufresne, Catherine Lara, France Gall, Sacha Distel, Babik Reinhardt, Dee Dee Bridgewater, Manu Dibango, Patrick Bruel, Michel Legrand, etc. 

Sa carrière a commencé à Nice, sa ville d’origine, dans une famille italienne un peu bohème et mélomane. Il est initié par son oncle, Tony Bonfils, qui très vite lui donne « le virus » :  

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La scène, le public, les big bands, les orchestres, j’adorais ça et donc j'ai fait les bals comme on dit dans le midi, joué dans les petits villages, monté le matos, c’était super.

Après le conservatoire et les premiers concerts, Fifi se rend à Paris. Sa carrière démarre avec Diane Dufresne, pour ne plus jamais s’arrêter. C’est une vie « à fond » qui commence et qu’il savoure avec délectation :

Avec Laurent Gerra, on est parti à Tahiti, à la Réunion, passé quinze jours de folie à la plage et avec les motos. On s'est retrouvés dans des endroits paradisiaques, avec les copains, des virées. On était invité partout, la teuf, les bonnes bouffes, les bonnes soirées, les rigolades, la grande vie!

Fifi, sur les planches.
Fifi, sur les planches.
- Pierre Fauquemberg

Fifi gagne beaucoup d'argent, divorce deux fois, fait 4 enfants, se marie une troisième fois, achète des voitures à crédit et savoure le luxe de ne jamais avoir à compter ses sous : 

Je n'ai jamais fait attention à mes comptes, on s’éclatait, on profitait, on partait en vacances avec les enfants, on était 15 à table je payais pour tout le monde… Tous les amis que j'avais étaient plutôt aisés, donc on ne regardait pas ça, quoi. 

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Et puis le coronavirus est arrivé. Les concerts ont été annulés, et Fifi  a bénéficié - heureusement - de l’année blanche des intermittents du spectacle, réduisant son salaire à 1700 euros par mois sans perspective de travail : 

Ce qui est très bien, mais moi, sur mes 1700 euros, la CAF du Gard m'en prélève 1200 pour payer la pension alimentaire de mes enfants. À la fin il me reste 520 euros. J’ai pas été habitué à vivre avec 520 euros par mois. Ça a été un gros choc.

A la fin du mois d'octobre, Fifi est expulsé de chez lui. Il découvre alors la dureté d’une vie où l’on dépend des aides sociales, les inégalités, la violence et le cynisme des banquiers, des huissiers, des policiers : 

A trois jours de la trêve hivernale, je me retrouve à la rue. J'ai fait une demande de logement sociaux mais c'est grâce à mes amis que j'ai été logé. Je ne pensais pas que c'était aussi compliqué pour les gens dans le besoin. Je n'ai plus du tout de nouvelles de mon assistante sociale. 

Le Covid a complètement changé sa vision des choses, son rapport aux gens et à l'amitié, si bien qu'il chérit aujourd'hui ceux qui ne l’ont pas abandonné.

On ne se voit plus, on ne s'appelle plus, depuis le début de la pandémie, je n'ai même pas reçu un coup de fil de certains "amis" pour savoir comment ça va. Je n'ai plus envie de ce genre de rapports du tout. 

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Clotilde, a 36 ans, elle est née au Sénégal dans un milieu plutôt privilégié. Sa famille a de l’argent, baigne dans la finance et la noblesse. Elle fréquente des écoles privées et part en vacances dans des stations balnéaires autour de Dakar : 

Je sentais que j'aimais ça, que j'étais vraiment attirée par une vie faite de plages, de fêtes, de privilèges. J'étais née dedans et ça me convenait très bien, une vie de belles choses !

Les belles choses, la beauté, c’est aussi les beaux vêtements que Clotilde emprunte à sa mère. Très vite, elle est attirée par la mode : à 14 ans, elle est repérée dans la rue, par hasard, par une styliste qui lui permet de faire son premier défilé. 

La ville avait arrêté de tourner pour cet événement-là, dans les rues de Dakar, tout le monde s'était arrêté, tout le monde me regardait. On avait captivé la foule. Je me sentais unique, tellement puissante dans ces vêtements-là et dans ce milieu-là, que ça m'a vraiment bouleversé. 

Les défilés s’enchainent. Clotilde voudrait être mannequin internationale, elle voudrait habiter à Paris, capitale de la mode. Là, les choses se compliquent, à 19 ans, on la trouve déjà trop vieille pour défiler. Elle devient alors vendeuse pour des marques de luxe : 

Une chemise basique coûtait 135 euros et plus. J’ai appris des techniques de vente, tout était fait pour que le client consomme. Des fois, ils repartaient avec des choses qu'ils n'avaient même pas demandées, parce qu'on avait réussi à les captiver et à les entraîner avec nous, c'était vraiment jouissif.

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Clotilde a eu la chance de redevenir mannequin, à 35 ans. Et elle en a profité à fond, comme un rêve devenu enfin réalité qui lui permet de mener sa vie comme bon lui semble. Mais, dès le début de la crise sanitaire, tout s’est arrêté net, et Clotilde a tout perdu. Contrairement à d’autres amies mannequins, elle a la chance de toucher le chômage, car elle a conservé en parallèle une activité de vendeuse et d’acheteuse. Toutefois, avec un salaire divisé par quatre, un loyer de 800 euros et un fils à charge, les fins de mois sont difficiles.  

C'est dans ce contexte là que je suis allée au Secours Populaire pour la première fois. Au début, ça a été dur dans le sens où c'était une question de fierté. J’avais honte d'être démunie. Au final, je me suis rendue compte que j'étais comme les autres et, surtout, que cette crise nous a tous mis au même niveau. Je suis aussi pauvre qu'eux, sauf que je suis une pauvre stylée. 

Aujourd’hui, Clotilde repense sa façon de vivre, elle vend ses vêtements pour se faire de l'argent et cherche un travail pour subvenir à ses besoins. Elle se rend compte que cette crise l'oblige à se réinventer : elle pense aux conséquences de l'industrie de la mode sur l'environnement et se demande comment composer l'avenir avec ce qu'elle a déjà appris.  

Je pense que le Covid, justement, remet tout à plat. Parce qu'il y a, je pense, beaucoup plus de choses essentielles qu'on est en train de réapprendre, et que la société de consommation n'en fait pas partie.

Reportage : Sophie Simonot

Réalisation : Emmanuel Geoffroy

Merci à Fifi et à Clotilde pour leur confiance et leur simplicité, merci à Pascale Miracle, à toute l’équipe du secours populaire et spécialement à Monique, Evelyne, Robin, Martin et Thibault.

Musique de fin : "Old man" de Redlight King - Album : Something for the pain - Label : Hollywood Records (2011). 

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