Squatters et squattés

À Toulouse, la maison de Roland, retraité de 88 ans squatté par des jeunes, a été libérée en février dernier.
À Toulouse, la maison de Roland, retraité de 88 ans squatté par des jeunes, a été libérée en février dernier.  ©Maxppp - Frédéric Charmeux - Photo PQR - La Dépêche du Midi
À Toulouse, la maison de Roland, retraité de 88 ans squatté par des jeunes, a été libérée en février dernier. ©Maxppp - Frédéric Charmeux - Photo PQR - La Dépêche du Midi
À Toulouse, la maison de Roland, retraité de 88 ans squatté par des jeunes, a été libérée en février dernier. ©Maxppp - Frédéric Charmeux - Photo PQR - La Dépêche du Midi
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Dans les années 90, Christophe s’introduit dans une maison qu’il croyait abandonnée, remplie de souvenirs et d’objets d’une famille qui a disparu. Ce sera son squat. Propriétaires, Grégory et Emmanuelle voulaient mettre leur appartement en location, mais ont été victimes de squatteurs.

Grégory a 34 ans. Il est chanteur et comédien, et achète un appartement en 2018 à Rosny-sous-bois. C'est sa première « grande fierté d’adulte ». Quelques mois plus tard, alors qu’il signe un contrat pour un spectacle loin de chez lui, il met son appartement en location. Les visites se passent bien, les clés sont données à un couple d’artistes. Le contrat doit se terminer en octobre 2019. Seulement, les premiers loyers n’arrivent pas :

Je sais ce que c’est d’être artiste, je sais que c’est parfois difficile de réunir l’argent rapidement, donc je ne m’inquiétais pas trop. 

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Les reports de paiement s’enchaînent, et Grégory ne voit jamais la couleur des loyers. Des sommes lui sont versées, de sorte que ses locataires passent de « non payeurs » à « mauvais payeurs ». Le propriétaire déchante au fil des semaines :

Les rôles s’inversaient presque. C’était déroutant. Au fur et à mesure des mois, ils me réclamaient des services. Ils étaient presque à l’hôtel avec un room service. C’est assez improbable. Ils ne payaient pas, mais avaient quand même le culot de me demander de réparer l’internet.

Avec l’arrivée de la pandémie, Grégory prend du plomb dans l’aile, et sa vie devient plus précaire. Le propriétaire décide de faire appel à la justice et engage des procédures d’expulsion. Le procès est gagné, certes, mais sa situation ne s’améliore point : deux loyers, incapacité de se reloger, pas d’argent, etc. 

Grégory continue à papillonner. Son quotidien est fait de galères, c'est maintenant lui qui se voit obliger de squatter à droite, à gauche :

Je vis au gré de la bonté de mon entourage : j’essaie de survivre avec ma petite valise et mon petit chômage. 

Comble de l’histoire : quelques uns de ses effets personnels, qui avaient été placés dans son appartement, ont disparu…

Christophe, lui, s’ennuyait dans ses études. Il avait « besoin d’action ». Un beau jour de 1997, aux alentours de Noël, il trouve avec ses amis un entrepôt désaffecté entre Vincennes et Montreuil. Très vite, après avoir utilisé un pied de biche, l’entrepôt se révèle être une maison abandonnée remplie de souvenirs divers et variés.

On est resté à quatre ou cinq là-dedans, sans trop savoir que faire de tout cela au début. […] On est rentré dans leur vie, dans leur intimité.

Christophe commence alors à vivre la vie d’autrui : les photos, les livres, les souvenirs, la vaisselle sale, tout y passe. 

C’était comme une vie qui s’était arrêtée et qu’on remettait en mouvement. 

Une espèce de rapport mystique le saisit, comme fasciné par ces petites marques du quotidien qui retiennent en elles toute une vie :

Il y a eu comme un coup de foudre. Je n’avais pas la sensation de violer leur intimité, déjà parce qu’ils étaient morts. J’avais plutôt l’impression de faire un travail d’archiviste, d’historien. Je compilais et conservais les choses. […] Ça m’a renvoyé à ma propre disparition. J’avais l’impression d’être en foret, d’être comme un naturaliste qui cherchait des traces d’animaux. C’était eux qui se cachaient et nous on les débusquait. »

Les découvertes se suivent, jusqu’au moment où le groupe d’amis est repéré puis éjecté. 

Dans quelle situation on est : qu’est-ce qu’on viole, qu’est-ce qu’on ramasse ? 

Christophe décide donc de prendre quelques affaires, et organise une exposition avec les objets collectionnés. Un jour, une femme se rend à l’exposition et s’effondre : elle connaissait le couple…

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Emmanuelle, enfin, a connu une autre forme d’imposture. Blogueuse culinaire, elle est propriétaire d’un studio dans le neuvième arrondissement de Paris, une rente qui lui permet notamment de payer son propre loyer. Pendant 1 an, elle loue son appartement sans problème. Lorsque son locataire part, l’agence immobilière tente de faire des visites mais les serrures ont été changées. Une dame se présente comme locataire du studio, et victime d’une arnaque au faux bail. 

La jeune femme en question ment : c’est une squatteuse. Emmanuelle porte plainte, mais cela ne mène nulle part. Si un juge condamne la squatteuse, elle est pourtant insolvable. Emmanuelle, qui tombe dans une certaine précarité, ne peut plus payer son propre loyer et tombe dans une tourmente judiciaire et administrative. De plus, la préfecture refuse de déloger la squatteuse du studio d'Emmanuelle. Selon elle, elle fait face à un grand réseau de squatteurs : la mère célibataire qu'elle a rencontré est une façade, des voisins ont entendu jusqu'à cinq personnes habiter dans le studio.

Ces personnes étaient des voyous : trafic de drogue, prostitution, trafic d’humain, trafic d’armes. La police n’a jamais rien fait, mais ce n’est pas faute de les avoir alertés.

Emmanuelle essaie d’être diplomate en rencontrant sa « locataire » — rien n’y fait.

Beaucoup de personnes m’ont conseillé de procéder par la force. Si je fais ça, je suis éligible à une peine de prison de 3 ans et à 30 000 euros d’amendes.

La blogueuse opte donc pour la légalité : toutefois, la préfecture argue que la squatteuse est protégée par le DALO (droit au logement opposable). Désemparée, Emmanuelle en fait appel aux médias pour « faire pression sur les pouvoirs publics », tout comme Grégory. Et ça marche : la locataire est expulsée.

Vous n’arrivez même pas à être soulagée, parce que vous savez que ce n’est pas fini, quand vous entrez là dedans…

Tout est saccagé, selon Emmanuelle. Le studio doit être refait à neuf, et la jeune femme voit la liste de ses dettes s'allonger.

Maintenant c’est Fort Knox ce studio ! C’est complètement disproportionné, on est bien d’accord. Un studio de cette taille là sécurisé comme une villa à 3 millions d’euros, c’est complètement dingue, mais j’ai pas le choix. J’ai peur que ça se reproduise.

Un traumatisme qui n’est pas sans laisser de traces…

Je me suis sentie complètement abandonnée par la société.

  • Reportage : Alain Lewkowicz
  • Réalisation : Anne-Laure Chanel
  • Mixage : Claude Niort

Merci à Audrey Maurion, Christophe, Gregory Deck, Emmanuel Iches.

Musique de fin : "The man who ruled the world", Charles X - Album: Peace (2016).

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