Ukrainiens en Russie ou Russes en Ukraine, pro-Poutine ou anti-guerre : depuis le 24 février, les familles russo-ukrainiennes se déchirent et leurs liens déjà rendus fragiles par l'histoire de ces deux pays risquent fort de se briser définitivement. Que faire quand votre mère est votre pire ennemi ?
"La relation est brisée pour toujours..."
Dmytro vit à Kyiv avec sa famille. Sa femme est d'origine russe, et depuis 2014, les échanges avec les membres de sa belle-famille sont devenus de plus en plus tendus. En effet, ces derniers soutiennent la politique de Poutine : ils justifient l’annexion de la Crimée et croient en l’existence d’une République autoproclamée dans le Donbass. Quand la Russie envahit l’Ukraine le 24 février 2022, ils prétendent qu’il s’agit d’une “opération spéciale de libération” du Donbass. La guerre opposerait selon eux la Russie et les Etats-Unis : les Ukrainiens n'auraient donc rien à craindre. Pour Dmytro, “c’est clairement la reproduction presque mot à mot de la propagande russe" et ses efforts pour les convaincre restent infructueux, même lorsqu'il leur raconte l'horreur dont il est le témoin direct. Finalement, c’est la résignation qui prend le dessus.
“Les gens ne se parlent plus, et ça risque de durer jusqu'au moment où, de l'autre côté, en Russie, ils comprendront véritablement ce qu'ils sont en train de nous faire. Si ça continue comme ça, je pense que cette relation est brisée pour toujours.” Dmytro
"Ma mère veut ma mort et celle de ma nation !"
Artem est russe, mais cela fait maintenant quinze ans qu’il s’est établi à Kyiv. Sa mère, qui est également russe, vit à Makiïvka, dans le Donbass. Depuis le début de la guerre, leur relation s’est peu à peu dégradée.
“On a une position assez différente, ma mère et moi. On a eu des discussions très difficiles parce que ma mère est pro-russe et moi je suis pro-ukrainien. On a pris des partis opposés. Pendant des semaines entières, on ne pouvait pas avoir la moindre conversation.” Artem
Comme la belle-famille de Dmytro, la mère d’Artem répète ce que dit la propagande, qui décrit l’Ukraine comme un repaire de “nazis”, de “fascistes”, comme un pays “très pauvre” et où “tout est mauvais”. Ainsi, elle soutient l’agression russe, affirmant que les civils ne sont pas la cible de l’opération militaire. Pourtant, elle s’inquiète pour la sécurité de son fils. Un paradoxe que ne peut supporter Artem, qui a décidé de couper tout lien avec elle, tout comme avec son père, qui vit en Russie et qui est lui aussi pro-Poutine.
“Aujourd’hui, je ne considère pas ma mère comme un membre de ma famille. Elle veut ma mort, et la mort de ma nation.” Artem
"Beaucoup de familles doivent affronter la perte de l’un des leurs"
Victoria est Ukrainienne. Depuis octobre dernier, elle vit aux Etats-Unis, dans l’Illinois. Son “boyfriend” l’a demandée en mariage quelques jours avant le début de la guerre. Même si elle été bouleversée par la nouvelle de l'agression russe, Victoria a décidé de rester aux Etats-Unis avec son nouvel époux. Mais elle souffre profondément d’être loin de ses proches et sa souffrance est encore décuplée par la réaction de ses oncles, qui vivent sur le territoire russe.
“Depuis 2014, mes oncles critiquent constamment le gouvernement ukrainien et disent qu’on diffuse des fake news*. Quand la guerre a commencé, ils ont dit à ma mère : “Pourquoi vous êtes si bouleversés ? C’est juste une opération militaire !” Ma famille ne comprend pas ce qu’il se passe, alors qu'ils sont Ukrainiens !*” Victoria
Profondément choquée et révoltée, Victoria assiste de loin au déchirement de sa famille. Elle a beau leur envoyer des informations sur la guerre, ses oncles et son neveu l’accusent de mentir.
“Ils disent que c’est de notre faute, et pensent que tout ça est une vaste mise en scène.” Victoria
C’en est trop pour Victoria, qui a arrêté de parler avec sa famille, car elle ne supporte plus cet aveuglement entêté.
“Des enfants meurent, des femmes sont violées, et les Russes sont juste inquiets de savoir s'ils vont pouvoir acheter du sucre ou du fait qu’Ikea soit fermé ou que McDonald ne rouvre pas ! Mais où est le visage humain dans tout ça ?” Victoria
Merci à Victoria, Tatiana et Artem, mais également à Dmytro Kushnir, et Iya Schur. Merci également à Oksana et Misha. Merci à Boris Pineau qui a assuré la traduction d’Artem et à Jeanne Coppey pour celle de Victoria.
- Reportage : Alain Lewkowicz
- Réalisation : Lise Côme
- Mixage : Philippe Thibault
Musique de fin : “Wake Up” (“Prokidaisya”) de Victoria Bazilevych, écrit par Svitlana Didukh.
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