Trois histoires de parenthèses, trois moments suspendus, choisis, ou pas… Anna, Hafid et Françoise racontent un voyage hors du temps, que ce soit à l'autre bout du monde, dans une ferme en 1940, ou dans un parc en bas de chez soi. L'objectif : fuir le quotidien.
Hafid : "Quand je marche, je m’oublie, je pars en voyage"
"Hier, pendant des heures et des heures, j’ai égaré ce qui m’assemble en tant qu’être humain. Si j’en ai le courage, je continuerai à me laisser égarer." Clarice Lispector, La passion selon G.H.
Hafid a déjà voyagé loin, au Canada par exemple, où vit sa sœur. Mais le voyage qu’il préfère, c’est "le voyage du quotidien", quand il fuit la routine, ses problèmes, et qu’il s’évade tout près de chez lui. Direction le parc de la Courneuve, en Seine-Saint-Denis. Hafid met ses chaussures de randonnée, ses vêtements de sport, et il marche, parfois plus d’une dizaine de kilomètres. Quand son corps bloque, son esprit le rattrape. Il sait qu’il doit y aller, il sait qu’il a besoin de ça, de couper, de s’oublier, de se sortir de lui-même.
“Il y a un dialogue entre le corps et l’esprit, comme une sorte de combat. Je fatigue mon corps, parfois sur dix ou quatorze kilomètres. Je vis l’instant, et je suis proche de la nature.” Hafid
Au parc, Hafid parle aux arbres et écoute les fontaines qui résonnent comme “des symphonies”. Pour lui, cette parenthèse qu’il s’octroie, qu’il s’autorise, lui fait se sentir vivant, et libre. Et cette porte de liberté est plus importante encore que les grands voyages, ceux qui n’ont lieu qu’une fois par an.
Anna : "Je suis partie pour créer ma propre vie"
"Comment ne pas sourire? Je suis en vacances, je suis venue voir la mer. Dans les rues, c’est bien moi, je me sens très nettement enfermée dans mon ombre que je vois s’allonger, basculer, revenir autour de moi. Je me sens de la tendresse et de la reconnaissance pour moi qui viens de me faire aller à la mer." Marguerite Duras, La vie tranquille
Alors qu’Anna est étudiante, son père contracte des dettes sur le dos de sa mère. Des centaines de milliers d’euros. La vie de famille devient un cauchemar. Anna s'emploie à soutenir sa mère pour l’aider, au maximum, pour la soulager : rédiger des courriers, courir les tribunaux, répondre aux huissiers… Tout cela, au prix de sa santé.
“J’ai dû aller au tribunal pour fermer ses entreprises, et je pense qu’à 18 ans, ce n'est pas ce qu’on est censé faire. J’étais stressée, malade tout le temps, je n’allais plus trop en cours. Je voulais aider ma mère, mais c’est devenu mon fardeau, j’ai tout pris sur moi.” Anna
Un jour, Anna décide de partir ; loin, et longtemps. Direction la Californie, San Francisco, où Anna est fille au pair pendant un an.
“C'était mon premier long courrier et c'était l'aventure. J’ai dit au revoir à ma mère, et je suis partie, je ne me suis pas retournée. Quand je me suis retrouvée dans l’avion, j’ai soufflé, et j’ai dit, bon, là, c’est bon. Let’s go.” Anna
C’est un voyage qui a marqué un tournant pour Anna, comme un point de départ vers sa vie d’adulte et sa prise d’indépendance. “Le but du départ, c’était de créer ma vie, pas de vivre celle des autres”.
Françoise : "C'était la guerre, mais pour la petite fille que j'étais, c'était l'aventure"
Dans l’histoire de Françoise, c’est la petite fille qui parle. Elle a sept ou huit ans. On est en 1940, c'est la guerre, les Allemands se dirigent vers la ville où elle vit, alors ses parents décident de partir. La voilà sur les routes, en voiture, au milieu des files de déplacés qui tentent de se sauver dans l’urgence ; direction la campagne, dans une ferme où ses parents ont prévu d’aller se réfugier.
Dans les yeux de la petite Françoise, ce départ est une aventure, un voyage. D’abord, elle retrouve ses parents qui, d’ordinaire, vivent séparés.
“La petite fille que j’étais, elle était contente parce que pour une fois on était tous les trois ensemble, en famille. Nous étions dans une situation critique, mais moi, je quittais ma routine et je m’en accordais. C’est normal, j’avais 8 ans !” Françoise
Elle découvre de nouveaux paysages, loin de sa ville natale ; le ciel bleu de Touraine, les prairies, les chevaux, la nature, l’étable de la ferme. Pendant ce voyage, Françoise dort sur la paille. Elle se souvient de la blondeur des blés, et de comme elle se vautrait dedans, pour jouer.
Pour Françoise, l’imagination et la tête des enfants sont un moyen de transport. Ils permettent d’aller plus loin que le réel et, peut-être, de dépasser les épreuves.
Merci à Anna et Antoine, Françoise et Alain, Hafid et la Maison des Séniors de St Denis.
- Reportage : Alice Babin
- Réalisation : Emily Vallat
- Mixage : Dhofar Guérid
Chanson de fin : Sunset Canyon de Foxwarren, Andy Shauf & Darryl Kissick
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