

C’était un milieu où l’on pouvait dépenser de l’argent pour, en quelque sorte, y acheter sa place. Cela laisse entendre que les billets de banque suppléent au talent.
On pourrait établir une liste des restaurants où vont les écrivains et de ceux que fréquentent leurs personnages. Ce ne sont pas nécessairement les mêmes. Des écrivains riches peuvent mettre leurs personnages dans des gargotes, des écrivains pauvres peuvent mettre les leurs dans des restaurants luxueux. Les uns ont de la morale, les autres ont de l’espoir. Proust, lui était riche. Mais pas comme d’autres, il avait aussi du talent. Il y avait les deux comme un autre écrivain de son vivant aussi, mais Valéry Larbaud n’en a jamais pâti, parce qu’il était plus discret. A aucun des deux ne s’applique le bon mot d’un écrivain américain à la table d’un restaurant de Manhattan quelque huit années plus tard : "J’ai mis quinze ans à me rendre compte que je n’avais aucun talent, mais alors, impossible d’abandonner : j’étais déjà trop célèbre." L’auteur en est l’humoriste Robert Benchley et le restaurant celui de l’hôtel Algonquin, sur la 44e Rue.
Benchley et les contributeurs du New Yorker se retrouvaient à une table ronde devenue grâce à eux si célèbre que, cent ans après, le site Internet de l’hôtel allèche le client avec une page sur cette "round table". Benchley, mais aussi Alexander Woollcott, Ring Lardner et Dorothy Parker, de qui vivent encore les bons mots, qui ont pour originalité de mêler le mordant au désabusement. On y trouvait aussi Harold Ross, le directeur du magazine, mais ce serait une erreur de croire qu’il avait de l’esprit. Sur le manuscrit d’un article de Benchley où il était question d’Andromaque, Ross écrit dans la marge : "Qui ?" Benchley écrit en retour : "Restez en dehors de tout ça." Ross était un homme à l’intelligence moyenne, ce qui lui a permis d’inventer un magazine à 800 000 exemplaires par semaine. Les hommes d’esprit dépensent le leur pour des tablées de huit.
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