Alberto Giacometti, Boule suspendue (1930) : épisode 3/20 du podcast Des œuvres à voir (au moins) une fois dans sa vie

A. Giacometti, Boule suspendue. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne Dist. RMN-G•
A. Giacometti, Boule suspendue. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne Dist. RMN-G• ©Radio France - Georges Meguerditchian
A. Giacometti, Boule suspendue. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne Dist. RMN-G• ©Radio France - Georges Meguerditchian
A. Giacometti, Boule suspendue. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne Dist. RMN-G• ©Radio France - Georges Meguerditchian
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Déclarée prototype des "objets à fonctionnement symbolique" par Salvador Dali et les surréalistes, pièce maîtresse de la collection d'André Breton, l'énigmatique "Boule suspendue" réalisée par Alberto Giacometti en 1930 ne cesse de susciter une émotion violente et indéfinissable chez ses regardeurs.

Avec
  • Didier Ottinger spécialiste de la peinture moderne et contemporaine, directeur adjoint du Centre Pompidou à Paris
  • Arnaud Labelle-Rojoux Artiste sculpteur, peintre, performer, professeur à la Villa d’Arson.
  • Véronique Wiesinger conservatrice en chef du patrimoine, directrice de la Fondation Alberto et Annette Giacometti à Paris.

Dans une cage, poncée jusqu’au fini impersonnel d’un meuble, une boule de bilboquet en bois est suspendue par une ficelle à une barre horizontale. Cette boule est fendue dans sa partie basse et surmonte une forme en croissant, posée sur un plateau. La boule, si elle était agitée par une main audacieuse, oscillerait en un mouvement pendulaire au-dessus du croissant basculant, dans une relation nécessaire et frustrante, la hauteur de la suspension interdisant à ces objets désirants de se toucher. selon Giacometti cette œuvre se serait présentée toute achevée à son esprit, et elle fut exécutée sans son intervention directe comme la manifestation immédiate d’une vision, comme la projection impeccable de son inconscient. Acquise en 1933 par André Breton en 1933, elle demeurera comme un mystère actif et stimulant au cœur de ce lieu manifeste, cette bombe mentale du XXe siècle que fut le bureau de l'écrivain.

Jean de Loisy et Sandra Adam s'entretiennent avec Arnaud Labelle-Rojoux, artiste et performeur, Véronique Wiesinger, directrice de la Fondation Giacometti et Didier Ottinger, historien d'art et commissaire de l'exposition Le surréalisme et l'objet au Centre Georges Pompidou.

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Arnaud Labelle-Rojoux : Le dispositif de cette œuvre, la cage qui enserre la boule suspendue, évoque pour moi une scène, une scène de théâtre vide. Elle est dotée pour moi d'autant de puissance évocatrice, de puissance narrative même, qu'un acteur. Quand je regarde cette boule suspendue dans le vide, je pense à Beckett.

Une interprétation marquée par le pathétique et le tragique de l'œuvre que confirme l'historien d'art Didier Ottinger, en la reliant à la personnalité de l'artiste :

Didier Ottinger : On sait que Giacometti avait de l’amour une conception problématique, violente, sadique - probablement est-ce pour cela qu’il s’est trouvé en sympathie avec Georges Bataille ! Toutes ces difficultés de communication, ces difficultés sexuelles, s’expriment dans cette structure de la cage. Pour moi, cette boule suspendue est comme un petit théâtre hurlant du solipsisme, c'est à dire de l’incapacité – de l'artiste sans doute - à se comporter, à avoir des relations normales avec l’autre, avec les femmes en particulier.

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Tous ceux qui ont vu fonctionner cette œuvre ont ressenti une émotion violente et indéfinissable en rapport avec des désirs sexuels inconscients. Cette émotion ne ressemblait pourtant en rien à une satisfaction, mais bien plutôt à un agacement, semblable à l’impression d’un manque, au sentiment de quelque chose qui ne peut s’accomplir mais qui est toujours sur le point d’y arriver.      Maurice Nadeau

Le regardeur : Salvator Dali (1904-1989)

Quand il réalise cette œuvre en 1930, Giacometti est depuis deux ans lié à André Masson, Georges Bataille, Michel Leiris, Antonin Artaud et Raymond Queneau et proche de la revue d’art, d’ethnologie et de littérature baptisée Documents. Cette relation a été rendue possible par André Masson qui fut impressionné par l’exposition des têtes plates que Giacometti fit à la galerie Jeanne Bucher. C’est à la suite de celle-ci que le peintre le présenta à ses amis. Pendant ce temps-là, six ans après le Premier Manifeste d’André Breton, les surréalistes sont empêtrés dans un débat idéologique sur ce que doit être un objet poétique, un objet qui soit compatible avec les hypothèses du matérialisme historique, du communisme donc. Un objet qui ne serait pas lié à l’égo de l’artiste, qui ne le distinguerait pas des autres, qui pourrait être fait par n’importe qui, et qui, sans intervention nécessaire du métier, permettrait à chacun d’exprimer de ses fantasmes ou ses rêves. L’écrivain André Thirion et Salvador Dali sont alors chargés par l’organisation de faire des propositions pour découvrir ce que sera cet introuvable objet politiquement compatible. Les voici embarrassés lorsque soudain apparait comme une révélation l’œuvre inquiète et insatisfaite de Giacometti, la boule suspendue, qui fut présentée en 1930 à la galerie Pierre Loeb et qui deviendra comme l’écrit Salvador Dali "le prototype des objets à fonctionnement symbolique", inaugurant ainsi l’histoire de l’objet surréaliste.

Lecture des textes :  Pauline Ziadé

Musique diffusée

  • Lou Reed et John Cale, Songs for Drella (1988)
  • Réalisation :  Annabelle Brouard
  • Prise de son :  Bernard Lagnel
  • Attachée d'émission :  Claire Poinsignon

L'équipe