

"Photographier, c'est mettre sur la même ligne de mire la tête, l'œil et le cœur. C'est une façon de vivre" écrivait Henri Cartier-Bresson dont les grandes amitiés auront profondément influencé le travail. Parmi celles-ci, l'amitié avec Alberto Giacometti nous est restituée par deux portraits.
- Patrick Faigenbaum photographe.
- Agnès Sire directrice artistique de la Fondation Cartier-Bresson
- Clément Chéroux historien de la photographie, Conservateur pour la photographie au Centre Pompidou depuis 2007. Commissaire de l’exposition Henri Cartier-Bresson au Centre Pompidou (12/02/14 - 09/06/14).
Comment rendre compte de 70 ans de production d'images du "monument national de la photographie française", celui dont on apprend toujours l’expression "l’instant décisif" comme définition de la photographie même, celui qui était toujours au bon endroit au bon moment ? Et si c'était par le prisme de l'amitié ? Tout au long de sa vie en effet, une amitié vive est venue nourrir le regard d'Henri-Cartier Bresson. André-Pieyre de Mandiargues et André Breton dans les années 30, puis Aragon et l'historien du cinéma Georges Sadoul au moment du Front populaire, ou encore Alberto Giacometti dans la période d'après-guerre, chaque période créatrice du grand photographe s'est incarnée dans de grandes amitiés.
En 1961, Henri-Cartier Bresson réalise ce célèbre portrait de Giacometti sous la pluie, qui montre l’artiste traversant la rue d’Alésia, le col de son manteau relevé sur sa tête. Giacometti avance avec une démarche qui n’est pas sans rappeler celle de ses sculptures, vulnérable, fragile, mais comme solidifié dans l’une de ses propres cages par la composition impeccable de la photographie : les arbres et les barreaux des fenêtres tenant lieu de montants de cette cage. Et la lumière, malgré le ciel sombre, surgit des flaques sur la chaussée.
C'est tout d'abord l'art de la composition qui frappe dans cette photographie, comme dans l'ensemble de l'oeuvre de Henri Cartier-Bresson. Un talent sur lequel revient Agnès Sire :
Agnès Sire : A ses débuts, Henri Cartier-Bresson s’est beaucoup intéressé à la peinture et au dessin. Il a été formé dans l’atelier d’André Lhote qui ne cessait de répéter des formules comme "Nul ne peut entrer ici s’il n’est pas géomètre". La composition a toujours été pour lui primordiale. Mais c’était aussi un danseur. Certains films d'archives le montrent en train courir, perché sur des pointes comme un danseur, et malgré ce déséquilibre apparent, la photo va être parfaitement composée. Il avait ce talent inné.
Jean de Loisy et Sandra Adam s'entretiennent avec le photographe Patrick Faigenbaum, lauréat du Prix Henri Cartier-Bresson en 2013, Agnès Sire, directrice de la Fondation Henri Cartier-Bresson et avec Clément Chéroux, commissaire de l’exposition Cartier-Bresson au Centre Pompidou.
L'appareil photographique est pour moi un carnet de croquis, l'instrument de l'intuition et de la spontanéité, le maître de l'instant qui, en termes visuels, questionne et décide à la fois. Pour " signifier " le monde, il faut se sentir impliqué dans ce que l'on découpe à travers le viseur. Cette attitude exige de la concentration, de la sensibilité, un sens de la géométrie. C'est par une économie de moyens et surtout un oubli de soi-même que l'on arrive à la simplicité d'expression.
Photographier : c'est retenir son souffle quand toutes nos facultés convergent pour capter la réalité fuyante ; c'est alors que la saisie d'une image est une grande joie physique et intellectuelle.
Photographier, c'est mettre sur la même ligne de mire la tête, l'œil et le cœur. C'est une façon de vivre.
Henri Cartier-Bresson
- Textes lus par Lara Brüh
Le regardeur : Patrick Faigenbaum
Dans cette image, on a un corps enveloppé par le vêtement, une tête et les jambes qui avancent. Le manteau qui ne laisse rien apparaître du personnage me fait penser à L’énigme d’Isidore Ducasse de Man Ray (1920) dans laquelle on voit des formes enveloppées dans du tissu avec des cordes et dont on dit qu'elle a été inspirée par une phrase de Lautréamont, "Beau comme la rencontre accidentelle sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie". Giacometti disait que faire un portrait c’était faire une tête. Ici, la tête pourrait être dissociée du corps. Et puis il y a les jambes. Si on projette l’image en grand, on voit surgir Giacometti, dans un élan, comme s’il courait vers nous. Comme si tout ce qui est enveloppé dans ces tissus se libérait, explosait. On voit surgir l’homme vers le spectateur.
- Musique diffusée : Alan Vega, Alex Chilton et Ben Vaughn Cubist Blues, 1996
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