La rue comme espace de confrontation

Des manifestants à Paris le 20 avril 2019
Des manifestants à Paris le 20 avril 2019 ©AFP - Anne-Christine POUJOULAT
Des manifestants à Paris le 20 avril 2019 ©AFP - Anne-Christine POUJOULAT
Des manifestants à Paris le 20 avril 2019 ©AFP - Anne-Christine POUJOULAT
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L’occasion de revenir sur les violences policières, celles des manifestants, et plus largement sur la question du maintien de l’ordre en démocratie.

Avec
  • Danielle Tartakowsky Historienne, professeure émérite d’histoire contemporaine à l’Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, spécialiste des mouvements sociaux
  • Cyrille Schott Préfet honoraire de région, ancien directeur de l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ)
  • Jean-Marie Delarue Président de la Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme (CNCDH), ancien contrôleur général des lieux de privation de liberté.
  • David Dufresne Journaliste

"Allo Place Beauvau ? C’est pour un signalement". Depuis début décembre, c’est par ces mots que le journaliste David Dufresne entame, sur Twitter, le recensement devenu quasi quotidien des victimes de violences policières. Un travail qui a valu à la France d’être interpellée par plusieurs grandes institutions, comme par exemple le Conseil de l’Europe, eu égard au nombre important de blessés, et à la fréquence des armes utilisées, notamment les lanceurs de balles de défense.       

Cette question de la violence comme réponse aux mobilisations politiques et sociales n’est pas nouvelle. Mais elle semble avoir pris une ampleur inédite. En partie parce qu’elle n’avait jamais été ainsi documentée. Tout le monde a pu voir ces derniers jours les manifestants pro-climat d’Extinction Rebellion aspergés de lacrymo à Paris ; ou encore la charge de la police à Nantes contre des fêtards le soir de la fête de la musique.

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De telles images interrogent quant au principe de base du maintien de l’ordre, qui suppose une réponse légitime et proportionnée. Non pas que les manifestants ne soient jamais violents : le mouvement des Gilets jaunes en a été à plusieurs reprises l’illustration. Mais depuis 2015, depuis la série d’attentats qui a touché le pays, l’exercice du droit de manifester est confronté à de nouveaux obstacles, au nom du droit à la sécurité : de plus en plus, la rue est judiciarisée. Et le maintien de l’ordre de plus en plus brutal.     

"La rue comme espace de confrontation" : c’est donc le thème de cette 3e journée des Rencontres de Pétrarque. Et pour débattre de ce sujet, on accueille Jean-Marie Delarue, président de la Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme (CNCDH), ancien contrôleur général des lieux de privation de liberté, David Dufresne, journaliste, documentariste et auteur, Danielle Tartakowsky, historienne, spécialiste de l'histoire des mouvements sociaux, ancienne présidente de l'université Paris VIII, Cyrille Schott, préfet honoraire de région, ancien directeur de l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ).

Nous en sommes à 860 signalements depuis le début de la manifestations des gilets jaunes, parmi lesquels un décès : celui de Madame Zineb Redouane, à Marseille. Il est quasi incontestable qu'elle est morte des suites de la grenade lacrymogène qu'elle a reçue en plein visage. On apprend ces derniers jours qu'il y a eu là aussi mensonge d'état. 24 personnes ont perdu un œil et 5 mains arrachées. Là-dessus, il faut ajouter les gens blessés à la tête, alors que le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner avait expliqué qu'on ne tirait pas au LBD au visage. David Dufresne 

Il y a eu des manifestations très violentes aussi du côté des gilets jaunes. Et en même temps, il y a eu la marche pour le climat, qui n'a pas posé de problème. Les gens ont manifesté pacifiquement, la police n'a pas fait usage de la force. Sur les Champs-Elysées, la police a eu usage de la force. Mais avait-elle un autre choix ? Je tique sur l'idée de "violences policières" comme terme premier. Cyrille Schott

Beaucoup de policiers font valoir l'idée qu'aujourd'hui, les manifestations auxquelles ils ont affaire sont assez inédites dans leur forme : il n'y a pas d'encadrement ou de service d'ordre. 

Une manifestation de rue n'est une manifestation de rue que si l'ensemble des forces concernées, c'est-à-dire, les manifestants et les forces de l'ordre considèrent que c'est une manifestation. Si tel ou tel interlocuteur sort de ce cadre, alors effectivement, on rentre dans des logiques de guerre. Ces derniers temps, on a eu affaire, de la part du ministre de l'Intérieur, à une rhétorique de guerre. Danielle Tartakowsky

Depuis 40 ans, dans les quartiers populaires, il y a cette violence d'état qui ne dit pas son nom. (...) Le 7 mars, Emmanuel Macron dit à une gilet jaune "Dans un état de droit, vous ne pouvez pas parler de violences policières." Et nous empêcher d'énoncer le mot, c'est nous empêcher de les dénoncer. Ce silence pesant existe sur le maintien de l'ordre dans les banlieues, et c'est dans l'indifférence la plus totale, sauf dans certains collectifs et travaux universitaires. David Dufresne

Là où je suis frappé par le silence médiatique, c'est à propos des morts sur les ronds points. Effectivement, on a dit 11 morts, et il y a cette pauvre femme à Marseille qui est morte. Et il y a aussi eu des accidents de la route. L'occupation des ronds points ont pu provoquer des accidents de la route. Il ne faut pas être unilatéral et dire que c'est uniquement de la faute des forces publiques. Cyrille Schott

Le maintien de l'ordre français répond à deux critères très importants : le premier, c'est la "stricte nécessité de l'usage de la force". Est-ce qu'à Nantes, des gens qui dansent lors de la fête de la Musique doivent recevoir des tirs de LBD parce que la musique est trop forte ? Et le deuxième point, c'est la "proportionnalité dans l'usage de la force", c'est-à-dire que la réponse doit être proportionnelle à la menace. Or, ce que l'on documente, (...) ça veut dire que la police en France a un problème avec son maintien de l'ordre. David Dufresne

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