Les "gilets jaunes" occupent les ronds-points, les mouvements des places occupent…les places. Les grandes mobilisations se déroulent en laissant les partis politiques / les syndicats à l’écart. Une illustration de la crise profonde de la représentation ?
- Dominique Reynié Politologue. Professeur des Universités à Sciences Po.
- François Ruffin Député LFI de la Somme
- Danielle Tartakowsky Historienne, professeure émérite d’histoire contemporaine à l’Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, spécialiste des mouvements sociaux
Que disent les dernières grandes mobilisations de l’état de notre démocratie ?
Les "gilets jaunes" bien sûr, phénomène politique le plus marquant de l’année en France, même si on peine à en voir la traduction dans les dernières élections européennes. Les manifestations pour la défense du climat, qui marquent la prise de conscience d’une génération autour d’enjeux jusque-là traités de manière secondaire. Mais aussi, plus anciennement, le mouvement "Nuit debout", l’occupation des places. Si les unes et les autres n’ont sans doute pas grand-chose en commun du point de vue de leur sociologie, il est un fait remarquable : ces mobilisations se sont développées à l’écart de ces corps intermédiaires que sont les partis politiques et les organisations syndicales.
Une autonomie revendiquée, pour porter notamment des projets de renouvellement de la démocratie : démocratie radicale, locale, participative, directe : des alternatives à la démocratie représentative. S’agit-il d’un mouvement de fond, d’une remise en cause des principes même de la représentation politique ? Ou bien d’une offre complémentaire ? Et la rue est-elle devenue le lieu de substitution à la politique ? On pose la question à Dominique Reynié, Professeur des Universités à Sciences Po et directeur général de la Fondation pour l’innovation politique, François Ruffin journaliste, député "Picardie debout !" de la 1ère circonscription de la Somme, fondateur et rédacteur en chef du journal Fakir, réalisateur de "Merci patron !", et Danielle Tartakowsky historienne, ancienne présidente de l'université Paris VIII.
Pour son dernier documentaire, Je veux du soleil, le député de la France Insoumise, François Ruffin, a fait un tour de France des ronds points pendant les manifestations de gilets jaunes. Y a-t-il des similitudes entre ce mouvement populaire et les manifestations de "Nuit debout", qui s’insurgeaient contre la loi Travail ?
Quand il y a eu le début du mouvement des "gilets jaunes", ma question c'était : "Quand est-ce que ça va se passer place de la République ?". Parce que tant qu'on allie pas la petite bourgeoisie culturelle et les classes populaires, on arrivera pas à aller frapper les 1 % d'oligarchie. C'est vrai que je suis dans l'attente d'un point de jonction entre les deux. François Ruffin
Le mouvement des "gilets jaunes", c'est parti du prix de l'essence, mais très vite ça a pris une tournure sociale. On s'est vite tournés vers la question démocratique. Je me rappelle d'un gilet jaune qui avait inscrit ce slogan sur son gilet : "Faire l'amour une fois tous les cinq ans, ce n'est pas une vie sexuelle, voter une fois tous les cinq ans ce n'est pas une vie démocratique !". François Ruffin
On a évoqué les réseaux sociaux, on a évoqué les ronds points, mais on a peut être pas assez évoqué le refus systématique des "gilets jaunes" d'être représentés, c'est intéressant. Ils refusent d'avoir une organisation qui les ordonnent, comme s'ils présentaient l'inévitable trahison. Dominique Reynié
Beaucoup d'historiens expliquent que chaque mouvement révolutionnaire est un mouvement où le peuple veut se réapproprier la rue dont il a l'impression d'avoir été chassé. Dans cette quête de renouveau démocratique, y a-t-il cet aspect de reconquête de la rue ?
La rue s'est construite dans notre histoire comme un sujet politique, et parfois fantasmagorique, on met souvent une majuscule à ce mot. Une fois la République advenue, cette rue sujet de l'histoire a laissé la place à des manifestations de rue. Ce qui est intéressant, c'est que les manifestations de rue se sont perpétuées comme un lieu du politique et de mobilisation collective. Danielle Tartakowsky, historienne
Gouverner, c'est tenir la multitude, et je ne crois pas que ça puisse changer. On a créé des ordres qui encastrent la multitude. Quand on cite systématiquement des manifestations à Paris, on voit à quel point on a été encastrés dans un référent national qui n'est que celui d'une ville. (...) Il a fallu politiser cet espace national qui ne l'était pas. Dominique Reynié
Paris est devenue la grande protectrice du pouvoir. Il y a une gentrification de Paris, les classes populaires en sont éloignées. François Ruffin
Les "gilets jaunes" ont témoigné d'un fond égalitaire ancré dans notre France. Il faut que les petits payent petits et que les gros payent gros. Ce qui ressort, c'est un sentiment d'égalité blessé. François Ruffin
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