Nous pensions être préservés des conflits, de la pauvreté, des épidémies. Mais le terrorisme, le réchauffement climatique, l’arrivée des réfugiés et le coronavirus nous ont fait comprendre que nous étions, nous aussi, vulnérables. L’occasion de repenser la place de l’Occident dans le monde ?
- Laetitia Strauch-Bonart Rédactrice en chef des pages Idées/Débats à l’Express
- Achille Mbembe Enseignant d’histoire et de sciences politiques à l’université sud-africaine Witwatersrand de Johannesburg
- Romain Bertrand Directeur de recherche au Centre de recherches internationales (CERI), spécialiste de l’histoire connectée.
Quel Occident ? une notion trop large pour spécifier la diversité des sociétés qu’elle regroupe
Achille Mbembe propose de faire une place à l’ensemble du vivant et souligne que l’Occident n'est pas placé hors du monde !
"Il y a longtemps que l'Occident a choisi d'imprimer un cours dionysiaque à son histoire et a choisi d'y entraîner le reste du monde." Achille Mbembe
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Laetitia Strauch-Bonart précise qu’il ne faut pas essentialiser une notion d’Occident qui recouvre des réalités très diverses.
“C'est peut-être une des grandes qualités de l'Occident de s’être toujours beaucoup remis en question et de se battre un peu contre lui-même, de produire ses propres critiques et réformes. Nous sortons de plusieurs décennies de longue paix -depuis 1945-, durant lesquelles l'Occident est devenu très prospère et beaucoup plus pacifique." Laetitia Strauch-Bonart
Romain Bertrand propose de sortir du modèle européocentriste et diffusioniste. Il affirme que dans un monde multipolaire les apports sont à mettre au crédit de tous les ensembles de sociétés.
“Nous avons raconté notre histoire comme celle de pionniers de l'entrée dans la modernité, des inventeurs de tout ce qui aujourd'hui, serait le capital philosophique universel. Cette légende dorée reposait essentiellement sur l'idée que l'Europe était le centre du monde, ou tout du moins le moteur de l'histoire universelle, et que le reste du monde n'avait qu'à réagir par rapport à un certain nombre de mouvements de l'Europe qu'on a dépeint comme précisément des avancées au bénéfice universel de l'humanité." Romain Bertrand
Un modèle qui vole en éclat ?
Qu'en est-il de “l'universalisme occidental” et de la propagation des idées libérales de l'Occident ?
Pour Laetitia Strauch-Bonart, le libéralisme universaliste a été été discrédité par cette crise et cela porte atteinte à l'ensemble de la pensée libérale.
"Quelle absurdité de penser que des pays et cultures millénaires vont tous converger vers une même forme d'organisation politique et économique ! Je pense qu'il vaut mieux penser à la tolérance mutuelle entre des systèmes et des pays différents que l'uniformisation du monde. Cette crise a été une sorte de révélateur : l'uniformisation du monde n'est ni possible ni souhaitable !" Laetitia Strauch-Bonart
Romain Bertrand précise qu'historiquement la pensée libérale -au sens politique et philosophique- n'est pas à porter au bénéfice exclusif de l'Europe. Il évoque les différentes versions de cette pensée libérale au Proche-Orient et en Asie.
"Au cours des siècles passés, l'Europe n'a pas toujours connu seulement des épisodes de grande démocratie ! Elle a abrité des États autoritaires et des systèmes politiques fascistes. Elle est travaillée aujourd'hui encore par des ethno-nationalismes comme en Europe de l'Est, par exemple. Cela n'est pas la confirmation d'une sorte d'inclination naturelle au libéralisme et à la paix entre les peuples.
Je crois qu'il faut faire attention au danger qui consisterait à réinstaurer un grand partage entre l'Europe, qui serait à la fois le berceau et le temple du libéralisme et des mondes extra-européens qui seraient par nature appelés vers des destinées plus autoritaires." Romain Bertrand
Achille Mbembe parle de techno-libertarisme : un nouveau régime dans lequel des systèmes automatisés récoltent et traitent les données relatives à chacun de nos actes, désirs et conduites ; par le primat de l’algorithme, il y a un nouveau paradigme de gouvernement.
Les archives du monde
Il semble nécessaire de repenser cet universalisme à la faveur de cette crise et d'interroger la place de l'humain dans l'ensemble du monde vivant.
Achille Mbembe évoque l'impasse planétaire dans laquelle l'humanité s'est trouvée suite à la crise de la Covid-19, il ne s'agissait pas seulement d'une impasse pour l’Occident. Il propose une politique de l'en-commun.
Le passé de l’Europe est un formidable réservoir d'étrangeté. Nous avons oublié l'une des principales leçons de l'histoire qui est que nous sommes toujours Autre pour nous-même ! Ce qui est important, c'est de se rendre compte que nous avons toujours été métissés : métissés de rapport à d'autres sociétés et de rapport à d'autres êtres vivants. Romain Bertrand
Je pense qu'il faut réinterroger notre rapport à nous-mêmes, nous Occidentaux. Et peut-être accepter à nouveau le sens du tragique que nous avions un peu oublié. Laetitia Strauch-Bonart
- "Une histoire à parts égales" du coronavirus ! Il s'agirait de récits pluriels de cet événement. Il faudrait donner la parole de manière parfaitement symétrique à l'ensemble des acteurs. Et il se trouve que l'un des acteurs principaux de cette pandémie : c'est le virus lui-même, un non-humain ! Romain Bertrand
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