Andreï Zviaguintsev, héros malgré lui de la liberté d’expression en Russie, revient en compétition avec un drame familial pas si apolitique que ça. Mathieu Amalric évoque le fantôme de la chanteuse Barbara dans un modèle d’anti-biopic…
Lors de la cérémonie d'ouverture, le réalisateur iranien Asghar Farhadi a souhaité aux festivaliers "12 jours plein d'enthousiasme et de dialogue, 12 jours pour découvrir des films qui vous feront réfléchir à la condition humaine aujourd'hui". Avec Andreï Zviaguintsev, Asghar Farhadi va être servi ! Le Russe avait déjà fortement impressionné les festivaliers en 2014 avec "Léviathan", qui lui avait valu un Prix du scénario, et la colère des autorités de son pays. Le destin d'un simple citoyen confronté aux injustices d'un Etat tout puissant avait été vilipendé par le Ministre de la Culture Vladimir Medinski, non pour son attaque aisément décryptable de l'autoritarisme poutinien, mais pour sa "vulgarité". Devenu malgré lui porte-parole de la liberté artistique en Russie, Zviaguintsev livre avec son nouvel opus, "Faute d'amour", un beau film apparemment apolitique, inspiré des "Scènes de la vie conjugale" d'Ingmar Bergman. Un couple en instance de divorce se déchire. Au milieu, un enfant, devenu encombrant pour l'un comme pour l'autre, tant il leur rappelle l'échec de leur relation. Sauf qu'un jour, l'enfant disparaît. Peintre acéré de la confusion mentale qui dévaste son pays, Zviaguintsev livre un film aux images impressionnantes de beauté, un peu sursignifiantes parfois dans sa satire de l'isolement des individus dans la société post-moderne des réseaux sociaux et des selfies, et bien sûr pas si apolitique que ça : l'action se situe de l'automne 2012 à février 2015, des attaques du pouvoir poutinien contre Boris Nemtsov à la guerre contre l'Ukraine, dont la lecture un rien orientée des médias russes rythme le film. Il est dès lors facile de lire dans le déchirement de ce couple celui d'un pays tout entier passant d'un état de paix à un état de guerre.
Le fantôme de la dame en noir
Après la disparition, l’évocation. Mathieu Amalric montait hier les marches comme acteur dans le film d’ouverture du Festival, « Les Fantômes d’Ismaël », d’Arnaud Desplechin. Il est aussi à Cannes en tant que réalisateur, et à nouveau pour une histoire de fantôme, en quelque sorte. Mathieu Amalric réalisateur ouvre ce soir la section Un Certain Regard avec "Barbara", un des nombreux événements qui marqueront la célébration des 20 ans de la disparition de la chanteuse, en 1997. Mais alors qu'on attend en compétition les biopics de Rodin et de Godard, Amalric échappe à tous les pièges du genre, qui cherche toujours à donner un sens à une vie, à expliquer comment et pourquoi on devient un artiste. En racontant non pas la vie de Barbara, mais l'histoire d'un réalisateur qui essaie de faire un film sur la chanteuse, il réalise à la fois une réflexion passionnante sur l'acte de création, et une très émouvante invocation, au sens presque spirite du terme, de la dame en noir, magnifiquement incarnée par une Jeanne Balibar au sommet de son art.
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