

En yiddish "mameloschn" signifie "la langue de maman", le mot désigne à la fois la langue maternelle et le yiddish lui-même. Les arrières grands-mères de Lila Boses et Hannah Barron parlaient le yiddish. Pour les arrières-petites filles, cet héritage inconnu fait naître un vide et une aspiration. Pour comprendre les mots pliés au fond de la mémoire, Lila et Hannah décident d’apprendre le yiddish.
Expérience signée Hannah Barron et Lila Boses, réalisée par Gilles Mardirossian
Il existe des langues ni tout à fait vivantes ni exactement mortes. Comme des espèces menacées, ces langues sont en voie d’extinction. Des extinctions de voix aux dimensions géantes et tragiques. Le yiddish est de celles-ci. Langue marginale et diasporique, le yiddish est la langue des juifs ashkénazes. Son épuisement est lié à la disparition de ceux qui le parlaient, le chantaient, l’écrivaient.
Lorsqu’on reçoit en héritage une langue muette, comment peut-on parler avec sa propre histoire? Cette langue-mère "jamais apprise, jamais sue, confisquée avant même la naissance de la parole", Hannah Barron et Lila Boses ont voulu l’apprendre. En trois épisodes comme trois leçons, nous entrons dans la langue par sa matérialité la plus concrète : l’alphabet, la prononciation, la traduction... Menées par la voix d’un.e professeur·e, la leçon s’égare, trouve un sens nouveau. A l’écoute de la mameloschn, les langues se délient.

Episode 1 : Balbutier, "le souffle passe"
Premier jour, première leçon. Chez Batia nous apprenons l’alphabet, "l’aleph beys". Sur le tableau blanc, elle dessine les lettres d’avant les lettres, l’alphabet des origines : il y a un taureau, une maison, un tuyau ouvert, une main tendue…
Je suis née dans un trou de l'Histoire, mon silence était ma langue maternelle.
Avec Batia Baum et Tal Hever-Chybowski .
Episode 1 : Balbutier
15 min
Episode 2 : Jouer "tu pourrais ne pas te perdre"
Daniel Koenigsberg est comédien, avec son coach américain il prépare un rôle joué en yiddish. Quand l’élève devient à son tour professeur, il se souvient des accents, des rires, de l’amour des mots.
Avec Daniel Koenigsberg et Eli Rosen
Episode 2 : Jouer
17 min
Episode 3 : Chanter "les mots pliés"
Il y a dix ans, Violaine est tombée amoureuse du yiddish. Elle nous apprend "Di Zun", une chanson qui rêve de soleil, de paon et de sommeil. Les mots longtemps pliés dans la mémoire s’étirent au son de l’accordéon.
Avec Violaine Lochu et Moshe Lobel, traduction Sharon Bar Kochva
Episode 3 : Chanter
15 min
Pour aller plus loin
Rachel Ertel, La permanence du yiddish, revue Vacarme, 2013.
Yiddish, film de Nurith Aviv, 2020.
Petite conversation familiale, film d’Hélène Lapiower, 1999.
Maison de la culture yiddish à Paris
Travail artistique de Violaine Lochu
Générique
Avec :
- Batia Baum, enseignante du yiddish et traductrice
- Daniel Koenigsberg, comédien
- Violaine Lochu, performeuse sonore
Ainsi que : Eli Rosen, Moshe Lobel, Sharon Bar Kochva et Tal Hever-Chybowski.
Archive INA : Discours d’Elvire Popesco, archive INA, 1969.
Chansons :
- Rozhinkes mit mandlen
- Di Zun vet artuntergein
Réalisation : Gilles Mardirossian
Mixage : Régis Nicolas
Une création sonore de Hannah Barron et Lila Boses
Remerciements
Merci à Tal Hever-Chibowsky, Nurith Aviv, Moshe Lobel, Sharon Bar Kochva et Eli Rosen.
Merci à nos familles.
Je ne sais pas très précisément ce que c’est qu’être juif, ce que ça me fait que d’être juif c’est une évidence, si l’on veut, mais une évidence médiocre, qui ne me rattache à rien ; ce n’est pas un signe d’appartenance, ce n’est pas lié à une croyance, à une religion, à une pratique, à un folklore, à une langue ; ce serait plutôt un silence, une absence, une q_uestion, une mise en question, un flottement, une inquiétude :_ une certitude inquiète, derrière laquelle se profile une autre certitude, abstraite, lourde, insupportable : celle d’avoir été désigné comme juif, et parce que juif victime, et de ne devoir la vie qu’au hasard et à l’exil j’aurais pu naître, comme des cousins proches ou lointains, à Haïfa, à Baltimore, à Vancouver. J’aurais pu être argentin, australien, anglais ou suédois mais dans l’éventail à peu près illimité de ces possibles, une seule chose m’était précisément interdite : celle de naître dans le pays de mes ancêtres, à Lubartow ou à Varsovie, et d’y grandir dans la continuité d’une tradition, d’une langue, d’une communauté. Extrait de "Ellis Island" de Georges Perec. (POL, 1995).
Quelque part, je suis étranger par rapport à quelque chose de moi-même ; quelque part, je suis "différent", mais non pas différent des autres, différent des "miens" : je ne parle pas la langue que mes parents parlèrent, je ne partage aucun des souvenirs qu’ils purent avoir, quelque chose qui était à eux, qui faisait qu’ils étaient eux, leur histoire, leur culture, leur espoir, ne m’a pas été transmis. Je n’ai pas le sentiment d’avoir oublié mais celui de n’avoir jamais pu apprendre. Extrait de "Ellis Island" de Georges Perec. (POL, 1995).
“Je tiens encore à vous dire, Mesdames et Messieurs, combien vous comprenez plus de yiddish que vous ne le croyez” [...] “(Le yiddish) ne se compose que de vocables étrangers, mais ceux-ci ne sont pas immobiles au sein de la langue, ils conservent la vivacité et la hâte avec lesquelles ils furent empruntés. Des migrations de peuples traversent le yiddish de bout en bout. Tout cet allemand, cet hébreu, ce français, cet anglais, ce slave, ce hollandais, ce roumain et même ce latin est gagné à l’intérieur du yiddish par la curiosité et l’insouciance – il faut déjà pas mal de force pour maintenir des langues en cet état. [...] Mais restez silencieux, et vous vous trouverez tout à coup au beau milieu du yiddish. Et une fois que vous aurez été émus par lui - car le yiddish est tout, le mot, la mélodie hassidique et la réalité profonde de cet acteur juif lui-même – vous ne reconnaîtrez plus votre calme d’autrefois. Extrait de “Discours sur la langue yiddish” de Kafka,1911.
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