Ce que signifie écrire à l’américaine pour un écrivain français, c'est chercher l’efficacité narrative, inventer une fiction à tout prix, adopter, dans le style et le rythme, l’ampleur que dégagent les paysages américains et maîtriser les ficelles du thriller.
Il y a bien une écriture et un style américains.
Dans ce pays dont les habitants eux-mêmes jouent à être Américains, par leurs postures, leur habillement, leur vocabulaire, dans cette Nation où le touriste croit pénétrer dans un film à chaque coin de rue, les écrivains ont une capacité à inventer qui s’oppose au goût des Français pour la théorie. Le fait que le pays soit si jeune, que son histoire soit encore si brève, permet à ses écrivains de le représenter sous forme de frise, à la manière des écrivains français du XIXème siècle.
Écrire à l’américaine, c’est garder le sens du réel, croire en la fiction, se libérer de toute inquiétude, dit Tanguy Viel. C’est donner au lecteur envie de ne pas poser le livre. C’est écrire suivant « le tempo de la chevauchée », dit Maylis de Kerangal. C’est inventer des monstres politiques, comme le fait Marc Dugain dans son roman La Malédiction d’Edgar.
Un imaginaire mondialisé
Je suis frappé par la puissance qu'a le cinéma américain dans les imaginaires. À un point qui est presque dérangeant. Cet été, je marchais sur une route dans le Vercors. Les voitures me dépassaient. Comme souvent, en marchant, il y a un imaginaire référentiel qui se met en place, qui se mêle aux images réelles. Et à ce moment là, j'ai eu des images qui me sont venus, qui étaient celles du cinéma américain. Je me suis dit qu'il était vraiment très difficile d'avoir un imaginaire qui ne soit pas entachée par les influences américaines. Il y a véritablement à la fois une puissance et une qualité du cinéma américain qui a fait qu'il s'est emparé de l'imaginaire mondial. Fabrice Humbert
Un avantage américain ?
Les Américains ont un avantage troublant sur nous. Même quand ils placent l'action dans le Kentucky, au milieu des élevages de poulets et des champs de maïs, ils parviennent à faire un roman international. Même dans le Montana, même avec des auteurs qui s'occupent de chasse, de pêche et de provisions de bois pour l'hiver, ils arrivent à faire des romans qu'on achète aussi bien à Paris qu'à New York. Cela, c'est une chose qui m'échappe. Nous avons des hectares de forêts et de rivières et nous ne parvenons pas à écrire des romans internationaux. Du jour où j'ai compris cela, je dois dire j'ai pris une carte de l'Amérique, je l'ai accroché sur le mur de mon bureau et je me suis dit que l'histoire entière de mon prochain livre se déroulerait là-bas, aux États-Unis. Tanguy Viel
OSS 117, pas si français
C’est avec le Plan Marshall qu’arrivent les comics américains, qui vont être interdits en 1949, et les romans criminels, les romans d'espionnage et la science fiction. Alors, on peut dire Le premier espion, c’est OSS 117. Et puis il y a James Bond. Ce sont des Français et des Anglais. Mais en fait, quand on regarde l'esthétique des films et des romans, c'est une esthétique très américaine. OSS 117, le grand espion français qui naît un peu avant James Bond, c'est un personnage à l'américaine. Bond est un personnage anglais mais c'est un personnage à l'américaine. En fait, tous ces personnages sont dominés par un imaginaire américain. Le grand héros français des années 1960, Bob Morane, a bien un nom américain, Bob. Tout devient un peu américain. Matthieu Letourneux
Avec
- Thomas B. Reverdy, écrivain
- Maylis de Kerangal, écrivaine
- Benoît Cohen, écrivain
- Maxime Chattam, écrivain
- Marc Dugain, écrivain
- Tanguy Viel, écrivain
- Oliver Gallmeister, éditeur
- Matthieu Letourneux, spécialiste de la culture populaire au début du XXe siècle
Un documentaire de Virginie Bloch Lainé, réalisé par Clotilde Pivin
Bibliographie
- Philippe Roger, L'Ennemi américain. Généalogie de l'antiaméricanisme français, Le Seuil
- Emmanuelle Loyer, Paris à New York. Intellectuels et artistes français en exil, 1940-1947, Grasset
- Simone de Beauvoir, L'Amérique au jour le jour, Folio
- Claude-Lévi-Strauss, La Technique du bonheur, revue Esprit, novembre 1946
- Jean-Paul Sartre, Situations I, texte sur John Dos Passos, Gallimard
- Céline, Voyage au bout de la nuit, Gallimard
- Paul Morand, New York, préface de Philippe Sollers, Garnier-Flammarion
- Tanguy Viel, La Disparition de Jim Sullivan, Editions de Minuit
- Marc Dugain, La Malédiction d'Edgar, Gallimard
- Jean-Patrick Manchette, Le petit bleu de la côte ouest, Série noire, Gallimard
- Chantal Thomas, East Village blues et Café Vivre, Le Seuil
- Thomas B. Reverdy, Il était une ville, Flammarion
- Maylis de Kerangal, Naissance d'un pont, Verticales
- Serge July, Dictionnaire amoureux de New York, Plon
- Fabrice Humbert, Le Monde n'existe pas, Gallimard
- Benoît Cohen, Yellow Cab, Flammarion
- Colombe Schneck, Nuits d'été à Brooklyn, Stock
- Laurent Binet, La Septième fonction du langage, Grasset
- Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Gallimard
- Charles Baudelaire, Fusées - Mon cœur mis à nu et autres fragments posthumes, Gallimard
- François-René de Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, Gallimard
- Stendhal, Le Rouge et le noir, Folio Gallimard
Liens
- Le grand roman américain et le langage approprié : mémoire de maîtrise de Daniel Grenier, Université du Québec à Montréal, 2009.
- A propos du livre de Lawrence Buel, The Dream of the Great American Novel : article de Jean-Yves Pellegrin, publié dans la revue Transatlantica, n°2, 2016.
- Compte-rendu du livre d’Anne Cadin Le moment américain du roman français (1945-1950) à lire sur Acta Fabula (février 2020).
- Yan Hamel, Le romancier américain, de Paul Morand à Roger Nimier, In Fabula / Les colloques, Les écrivains théoriciens de la littérature (1920-1945).
- Et si j’écrivais un roman américain ? A propos du roman de Tanguy Viel : La disparition de Jim Sullivan (2013), sur le blog littéraire Sur une île j’emporterais.
- L’art du roman américain : texte d’Arnaud Cathrine, en ligne sur son site.
Partenariat
LSD, La série documentaire est en partenariat avec Tënk, la plateforme du documentaire d’auteur, qui vous permet de visionner le film Jour des élections du réalisateur brésilien Nereu Afonso Da Silva (8 minutes, 2018) jusqu'au 09/11/2020.
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