

La destinataire méconnue d’une œuvre épistolaire monumentale.
« Quand vous lui demandez pour quelle raison il a aimé sa première fiancée, il répond : parce qu’elle s’entendait si bien en affaires et son visage se met à rayonner de respect » (Lettre de Milena Jesenská à Max Brod).
Où il est question de Felice Bauer, jeune femme issue de la petite bourgeoisie juive, indépendante, fondée de pouvoir dans une entreprise berlinoise de dictaphones, qui rencontre Kafka à l’été 1912. S’en suivront cinq années d’une folle correspondance (500 lettres au total), deux fiançailles avortées et une rupture finale en 1917.
Cinq années à se « mettre nu devant les fantômes ». Rationnelle, efficace, Felice tente de faire face comme elle peut aux tergiversations de Kafka partagé entre l’espoir d’une vie familiale « normale » et son existence de célibataire toute entière tournée vers la littérature.
Marthe Robert qui fut traductrice de Kafka et essayiste explique la position de Kafka face à une éventuelle union : “Le mariage, à première vue, c'est simplement une affaire sentimentale et sociale, mais pour Kafka, ce n'était pas ça. Dans toute la première partie de son œuvre, on voit courir des plaintes sur l’état de célibataire, le malheur d'être célibataire. Dans sa perspective très particulière, le célibataire est condamné socialement et spirituellement parlant, c’est un homme manqué, c'est un homme raté”, elle révèle que, “le mariage est un but d'une extrême importance pour lui”. Reiner Stach, biographe de Kafka évoque quant à lui les interrogations de l’écrivain sur ce thème du célibat : “Kafka se demandait : A quoi rime cette vie si je reste célibataire jusqu’à la fin de mes jours ? Si je reste seul ? Est-ce seulement une vie ? “
C’est après sa première rencontre avec Felice que Kafka traverse quelques mois d’épiphanie littéraire qui assoient sa vocation : Le Verdict, première œuvre qu’il ne désavouera pas, écrite d’une traite dans la nuit du 22 septembre 1912, est d’ailleurs dédiée à Mlle FB. Pour Marthe Robert c’est cette écriture nocturne du Verdict qui lia Kafka à Felice : “Chose absolument extraordinaire, c'est son premier texte achevé et aussi bizarre que ça paraisse c'est ça qu'il l’a attaché à Felice, parce qu'il a cru que grâce à elle, grâce à cette espèce de réservoir de force qu'il pouvait trouver en elle, il avait enfin achevé quelque chose d'important”.
Même si les lettres écrites par Felice ont disparu, il faut imaginer le choc culturel et psychique entre cette jeune femme active, peu encline à remettre le sens commun bourgeois en question et « l’exilé intérieur » de Prague. Dans une des lettres que Kafka lui adresse, on peut lire : “Tu m'as écrit une fois que tu voudrais être auprès de moi quand je travaille. Sais-tu que dans ce cas, je ne pourrais pas écrire ? Écrire signifie que l'on se livre sans mesure. C'est pour cette raison que l'on ne peut jamais être assez seul quand on écrit. C'est pour cette raison qu'il ne peut jamais y avoir assez de silence autour de soi, quand on écrit la nuit elle-même n'est pas assez nocturne.”
Après leur rupture, Felice renouera avec le cours d’une « vie de famille normale » avant la fuite vers les Etats-Unis, au début des années 30. C’est à la fin de la sa vie, qu’elle accepte de confier à un éditeur new-yorkais, les fameuses lettres dont elle était la destinataire.
Un documentaire de Ruth Zylberman, réalisé par Julie Beressi.
Avec :
Reiner Stach , écrivain, auteur de la plus exhaustive biographie de Franz Kafka parue à ce jour, à paraître en français.
Florence Bancaud, Professeur de littérature et histoire des idées germaniques 19-21ème siècles à Aix-Marseille Université.
Jean-Pierre Lefebvre, Professeur émérite de littérature allemande à l’Ecole Normale Supérieure, traducteur des œuvres complètes de Franz Kafka.
Philippe Zard, professeur de littérature comparée à l'université Paris-Nanterre.
Archives de Marthe Robert, traductrice et essayiste.
Comédiens : Rainer Sievert (Franz Kafka); Sarah-Jane Sauvegrain (Felice Bauer) et Laurent Lederer.
Prise de son : Alexandre Abergel, Hélène Langlois, Thomas Robine, Cédric Chatelus, Valérie Lavallart et Sébastien Royer
Mixage : Régis Nicolas
TEXTES CITES
Franz Kafka, Lettres à Felice, traduction Marthe Robert, in Œuvres Complètes, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1989.
Franz Kafka, Journaux, traduction Robert Kahn, Editions Nous, 2020.
Franz Kafka, Lettres à Max Brod, traduction Alexandre Vialatte, Claude David, Marthe Robert, in Œuvres Complètes, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1989.
BIBLIOGRAPHIE
Florence Bancaud, Kafka ou l'art de l'esquisse, Paris, Belin, 2006.
Elias Canetti, L’Autre Procès : Lettres de Kafka à Felice, Gallimard, 1972
Franz Kafka, Œuvres Romanesques T.I et II, édition sous la direction de Jean-Pierre Lefebvre, Bibliothèque de la Pleiade, Gallimard, 2018.
Marthe Robert, Seul comme Franz Kafka, Calmann-Levy, 1994.
Reiner Stach, Kafka, The Decisive Years ; The Years of Realization ; The Early Years. 3 T. Frankfurt am Main: S. Fischer Verlag, Princeton University Press, 2008, 2012, 2014.
Philippe Zard, Sillage de Kafka, études réunies par Philippe Zard, collection "L'esprit des lettres", Editions Le Manuscrit, 2007.
Franz Kafka, Œuvres Romanesques T.I et II, Edition sous la direction de Jean-Pierre Lefebvre, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 2018.
LIENS
Biographie de Felice Bauer, en allemand sur le site Kafka & Prag.
Franz Kafka & Félice Bauer à lire sur le site Les Romantiques (septembre 2019).
Au tribunal du réel . Article de Laurent Margantin publié en août 2014 sur le site Œuvres ouvertes.net
Julian Preece, Kafka’s Correspondence with Felice Bauer and the Literary Tradition of the “Brautbrief” of the “Brautbrief, in Kafka and Short Modernist Prose, éd. Oxford Kafka Studies, juillet 2020.
Une machine amoureuse : les lettres de Kafka à Felice, article de Ghyslain Lévy paru dans Topique n°90, 2005.
Kafka Was a Terrible Boyfriend, article à propos des lettres à Felice publié sur le site Literary Hub, 2018.
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