Ce que l'on préfère ne pas voir ou l'invisibilisation de l'abattoir.
Olivier Falorni, président de la commission d’enquête parlementaire sur les conditions d’abattage des animaux de boucherie affirme qu' "Il est plus facile d’entrer dans un sous-marin nucléaire que dans un abattoir"
A l’origine du paradoxe de la viande, il y a l’invisibilisation de l’abattage car comme le rappelle Muriel Pic "Dans le film de Georges Franju, Il y a une théâtralisation de cette mise à mort qui est là pour nous rappeler que c'est un spectacle que l'on ne veut plus voir. Il y a une approche poétique, lyrique et documentaire des abattoirs." Avant même l’industrialisation des abattoirs, les “tueries” étaient déjà un lieu à part, hors champ, obscène. L’histoire de la sensibilité à la souffrance animale est aussi celle des tentatives pour lever le voile sur la face cachée de la viande.
Il existe une tradition documentaire et cinématographique qui s’intéresse à ce que l’on préfère ne pas voir : “l'amenée” de la bête à l’échaudoir, l’étourdissement, le geste technique de la mise à mort, les corps dépecés : de Georges Franju (Le sang des bêtes, 1949) ou Frederick Wiseman ( Meat, 1976) jusqu’à de nombreux films récents ( Saigneurs de V.Gaullier et R.Girardot, 2016, Entrée du personnel, de Manuela Fresil, 2011). Des images crues, voire gores, qui bousculent, le spectateur-consommateur et le mettent face à sa conscience.
On voudrait retracer comment cette tradition documentaire a accompagné l’évolution du regard sur l’abattage et décillé une certaine myopie morale. A ce propos Muriel Pic constate que "Dans le film de Franju, il n'y a pas d'accusation du personnel de l'abattoir, au contraire, il y a presque une assimilation de la figure de l'animal et de l'ouvrier, qui donne aussi de sa personne, qui est blessé voire estropié. Il y a aussi une misère humaine". Comment elle est reprise par les activistes de L.214 ou de l' Oeuvre d’Assistance aux Bêtes d’Abattoirs (OABA) qui utilisent la vidéo choc comme technique de lutte et moyen d’action pour peser sur les textes de lois et le statut juridique des animaux.
Qui produit les images comme celles de l’abattoir d’Alès ou des vaches gestantes à Limoges ? Comment ces images sont-elles tournées ou obtenues ? Qui les diffuse de manière virale ? S’interroger aussi sur le cinéma de fiction qui s’empare à son tour de ces codes pour créer un genre et participe peut-être à une banalisation des images choquantes.
Y a-t-il un risque que l’on s’habitue peu à peu à ces images ? Cela explique-t-il le récent passage aux actions violentes cet été quand des militants ont attaqué des boucheries charcuteries ?
Avec Muriel Pic, auteure d’en regardant le sang des bêtes ; Damien Baldin, historien, auteur d’une Histoire des animaux domestiques ; Manuela Fresil, réalisatrice d’Entrée du Personnel ( 2011) ; Vincent Gaullier et Raphaël Girardot, réalisateurs de Saigneurs ( 2016) ; Sébastien Arsac et Brigitte Gothière fondateurs de l’Association L.214 ; Jean Baptiste del Amo, écrivain
Un documentaire de Delphine Saltel, réalisé par Vincent Decque
Ce documentaire a été diffusé pour la première fois le 14/5/19
Liens
Les Inrocks font la liste des « 10 films qui peuvent transformer n’importe qui en végétarien ».
L’abattoir dans le cinéma de fiction : un site coupé en quatre. Basé sur un corpus de 35 films internationaux de fiction, cet article de Vincent Chenille étudie la représentation des abattoirs de 1950 à nos jours. In Anthropology of food, S13, 2019.
Les abattoirs au cinéma : la mort et la délicatesse. Article de Camille Brunel pour le site du Café des images.
Un coeur battant dans la viande, réaction de Jocelyne Porcher aux rencontres de Rambouillet ayant pour thématique L’abattage des animaux d’élevage : in-montrable ? A lire dans le magazine Ruralia juin 2000, en ligne via OpenEdition.
Bibliographie
- L214 une voix pour les animaux, Jean-Baptiste Del Amo, Editeur arthaud
- Après la nuit animale, Jonathan Palumbo, Marest éditeur
- En regardant le Sang des bêtes, Muriel Pic, éditions trente-trois morceaux
- Histoire des animaux domestiques au 19eme et 20eme siècle, Damien Baldin, Seuil
Partenariat
LSD, La série documentaire est en partenariat avec Tënk, la plateforme du documentaire d’auteur, qui vous permet de visionner jusqu'au 7/2/2022 le film de Elsa Maury, produit par le Centre Vidéo de Bruxelles Nous la mangerons, c'est la moindre des choses (65')
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