Entre vertu de l’empowerment et risque de l’épuisement de soi, que se passe-t-il du côté de ceux dont la vie privée est devenue la matière même de leur métier ?
Avec les outils numériques, le mur de la vie privée est maintenant percé d’une multitude de fenêtres. À travers un œil-de-bœuf, un Judas ou une baie vitrée, chacun peut s’offrir un coup d’œil, appuyé ou furtif, sur la vie privée de ses voisins. Jeux de regards croisés, besoin de voir autant que d’être vu : bien souvent, le regardeur est aussi regardé. Il participe à cette transaction, disséminant à son tour dans l’espace numérique des morceaux de vie privée. Lille, instagrameur, décrit cela comme une "exposition du sentiment“. Il ajoute, lui qui est queer : “*Avec Instagram, *on est dans cette exposition de l'intime. Je montre qui je suis et je m'affirme. C'est une affirmation. Les réseaux sociaux ont été salutaires dans cette construction de mon identité de genre et de mon expression de genre “.
Si pour certains c’est une recherche d’approbation et de reconnaissance qu’ils aimeraient parfois modérer, pour d’autres, c’est un métier, rémunéré, soumis aux lois de la concurrence et du marché. Alors, que se passe-t-il du côté de ceux dont la vie privée est devenue la matière même de leur métier ?
Allison, une influenceuse explique : “On est plus investi que les autres parce que l’on vit grâce à notre image. Et, un peu aussi grâce à nos états d'âme. Même si parfois, je n'ai pas forcément envie de les partager, je me sens un peu obligée de le faire parce qu'on a toujours peur qu'on nous oublie“. Ambre, mère de famille et influenceuse, détaille les répercussions de cette exposition de sa famille sur les réseaux sociaux face à des abonnés chaque jour plus en demande d’authenticité.
Et si ces influenceurs ont conscience d’être dans une certaine mise en scène comme Lille l’évoque : “Je vois à quel point, au fur et à mesure, on construit une esthétique, une mise en scène de sa propre existence“, leur obligent “à se voir en face“ et à “avoir une vie plus consciente“.
Entre vertu de la libération de la parole et risque de l’épuisement de soi, qu’est-ce que les influenceurs et influenceuses nous racontent de l’évolution de notre rapport à notre propre vie privée ? Que devient la vie privée lorsqu’elle est chaque jour pensée comme un spectacle, une mise en récit qui doit être portée à la connaissance et à l’approbation d’autrui ?
*Le titre « Influenceurs influencés » est emprunté à un article de la sociologue Béatrice Guillier, spécialisée dans les pratiques numériques des adolescentes.
Un documentaire de Manon Prigent, réalisé par Séverine Cassar.****
AVEC
Ambre, mère de famille nombreuese, influenceuse, infirmière et pompier volontaire.
Lille, instagrameur
Allison, influenceuse
Béatrice Guillier, sociologue
Michaël Fœssel, philosophe
Gabrielle Stemmer, réalisatrice
Avec des extraits issus du film Clean with Me after Dark de Gabrielle Stemmer, et des vidéos des comptes Instagram et Youtube d’Allyfantaisies, Coucou les girls, Enjoy Phenix, Familledolbyambre et Le garçon du placard.
Merci à Sarah Clauzet, Fabien Granjon, Angela Lorente, Delphine Lamour-Pilcher, Mathias Théry.
Bibliographie
Le carnet de recherche en ligne de Béatrice Guillier
Mireille BERTON, « Fonctions du regard et du miroir dans Loft Story », Décadrages, 1-2, 2003
Michaël FŒSSEL, La privation de l’intime, Paris, Seuil, 2008
Michaël FŒSSEL, « Partager l’intime », Sensibilités, vol. 6, no. 1, 2019, pp. 10-19.
Dictionnaire encyclopédique et critique des Publics
Eva ILLOUZ, Les sentiments du capitalisme, Paris, Seuil, 2006
Serge TISSERON, « Intimité et extimité », Communications, vol. 88, no. 1, 2011, pp. 83-91
Richard SENETT, Les Tyrannies de l’intimité (The fall of Public Man), Paris, Seuil, 1979
Liens
[Les youtubeurs : les nouveaux influenceurs ! Article de Divina Frau-Meigs paru dans Nectart, n°5, 2017](https://www.cairn.info/revue-nectart-2017-2-page-126.htm https://bit.ly/3notJEo).
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