

L’épidémie a créé un traumatisme collectif et une fracture sociale et démographique, mais pourtant la société a tenu, la vie a continué et on s’est organisé avec la maladie dont on peut pourtant encore trouver des traces dans le monde d’aujourd’hui.
Une fois qu'on a dit la mort, la peur et la panique qui déchaîne la haine, il faut aussi imaginer et comprendre que la peste ne s’en va pas, elle s'est installée pour longtemps, et elle va rester environ 400 ans.
L’historien Patrick Boucheron analyse : “Je pense que le monde d'après la peste dure longtemps. Il dure longtemps biologiquement puisqu'il y a des gens qui meurent de la peste et qui survivent, et ceux qui survivent sont eux-mêmes transformés par le passage de l'épidémie“. Laurent Feller explique par ailleurs, bien qu’avec nuance que l’arrivée de la famine serait l’une des conséquences concrète de la peste de 1348 : “Il est très certain que la famine ou une disette sévère a suivi le passage de la peste, mais attention, nous vivons aussi dans une décennie qui a connu une série de disettes extrêmement dures et donc vraisemblablement un renchérissement du prix des céréales bref, mais très violent, qui a aggravé la crise sanitaire et qui a aggravé la mortalité“.
Une autre interrogation soulevée par Patrick Boucheron est le rapport entre la Jacquerie de 1358 et la fin de la première vague de la peste en 1352, “personne ne fait le lien“ pourtant, “une épidémie peut aiguiser la conscience de l'inégalité des sociétés. Est-ce que ça la rend plus insupportable encore ? Sans doute. Est-ce qu'on se révolte immédiatement contre cette situation qui nous apparaît décidément insupportable ? Peut-être ou peut-être pas“.
De son côté, l’historien François Otchakovsky-Laurens explique comment à Marseille, avec plus de 50% de la population disparue, la peste a eu une réelle influence sur la loi de l’offre et la demande : “Les employeurs ne trouvaient plus de main-d'œuvre, ce qui a permis à cette main-d'œuvre d’être en mesure de leur tenir la dragée haute“. Les villes dépeuplées voient alors arriver avec réticence de nouveaux habitants venant des campagnes et explique l’historien, “ces nouveaux arrivants parviennent à avoir voix au chapitre là où ils ne l'avaient pas forcément avant. Ils exigent, par exemple, la limitation du prix du pain, qui traduit quand même une certaine pression de la part des couches de la population les plus fragiles“.
L’historien Laurent Feller note néanmoins que certains ont pu tirer leur épingle du jeu : “Ceux qui avaient des disponibilités ont pu profiter de l'occasion pour accroître leur patrimoine et leur exploitation. D’ailleurs, si les institutions tiennent, c'est aussi parce que les classes les plus favorisées de la société, la haute aristocratie notamment, qui régit les structures politiques, ne sont pas touchées ou très peu touchées par la peste“.
Et c’est comme ça, que, dès la première vague du milieu du 14e siècle, les hommes et les femmes du Moyen-âge ont appris à vivre avec elle. Et malgré cela, les sociétés ont tenu, malgré un traumatisme durable et certain ; et notre monde est aussi encore celui d'après la peste comme le constate Patrick Boucheron : “Nous vivons encore aujourd'hui dans le monde ruiné par la peste“.
Un documentaire de Perrine Kervran, réalisé par Anne Perez.
Avec :
Patrick Boucheron, historien, médiéviste, professeur au Collège de France
Laurent Feller, historien du Moyen âge à l’université Paris I, spécialiste de l’histoire économique
François Otchakovsky-Laurens, historien du Moyen Age à l’université d’Aix Marseille
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