Peindre la mort : épisode 6/8 du podcast La Grande peste, l'empreinte d’une tueuse

Une femme voilée vient distribuer la mort. Fresque de l’église St-André de l’abbaye de Lavaudieu.
Une femme voilée vient distribuer la mort. Fresque de l’église St-André de l’abbaye de Lavaudieu. - Johan Picot
Une femme voilée vient distribuer la mort. Fresque de l’église St-André de l’abbaye de Lavaudieu. - Johan Picot
Une femme voilée vient distribuer la mort. Fresque de l’église St-André de l’abbaye de Lavaudieu. - Johan Picot
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Pourquoi a-t-on si peu d’images de la peste et qu’est-ce que la peste a fait à l’art, aux représentations et aux artistes ?

Autant on a de nombreuses images de danses macabres, autant ce qui frappe c'est la rareté des images de peste, pas de milliers d'enluminures de tas de cadavres ou de corps criblés de bubons , de fosses qui débordent, de malades qui s'effondrent en plein jour, ni  de villes ou de villages abandonnés.

Mais il y en a tout de même quelques-unes : un tout petit dessin à la marge d'un manuscrit de Boccace qui représente, la mort qui plane, un tas de cadavres et des funérailles, ou encore, une enluminure belge, qui illustre encore aujourd’hui systématiquement le moindre article consacré à la grande peste médiévale.

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Mais tout de même, on a peut-être une personnification assez spectaculaire de la peste, en robe rouge, voilée de noir, brandissant des flèches serrées dans ses poings fermés, des cadavres entassés à ses pieds. On la trouve à Lavaudieu en Haute Loire, pas loin de Clermont Ferrand,  dans la nef de l’abbatiale et Johan Picot nous a emmené sur place pour y voir plus clair.

Mais parfois la mort est aussi une chevauchée, et L’anthropologue Dominique Chevé-Aicardi indique : “Historiquement, la représentation de la peste ou de la mort  à cheval vient probablement de l'Apocalypse, du quatrième cavalier qui apporte la mort et la célérité, une mort radicale totale. Par la suite, il va y avoir des déclinaisons vraiment très différentes et ce qui est certain, c’est qu’il y aura une personnification et une allégorie permanente de la peste.

Mais alors, comment comprendre ce silence iconographique ?

L’historienne de l’art, Giulia Puma essaie de répondre à cette question en faisant appel au travail du philosophe Georges Didi-Huberman : “L’une de ses pistes serait que peut-être, l'appétence pour les images ne s'est pas traduite dans un besoin de voir représenté comme dans un effet miroir toute la dureté de ce que a été la peste. C’est-à-dire pour chacun, concrètement, la perte au minimum de la moitié de ses proches, de sa famille, de ses connaissances. Il y a plutôt eu une redirection des sujets définis comme sujets de prédilection pour savoir comment mener sa vie spirituelle“.

On se tourne donc plus vers les représentations religieuses car explique-t-elle : “Le trauma est tellement immense que le rapport à la religion évolue. Il va se traduire dans la recherche de consolation, de réassurance de l’image religieuse. Les commandes de peintures vont augmenter parce que l’on va essayer encore plus de s’assurer le salut dans l’au-delà, étant donné la conscience de la fragilité de la vie“.

Le médiéviste Etienne Anheim, souligne un autre fait, la peste tue et elle tue aussi les peintres a une époque qui marquera une évolution dans l’histoire de l’art : “Elle, produit d'abord la mort d'un certain nombre d'artistes comme les frères Lorenzetti à Sienne, qui meurent en 1348 et peu de temps avant, en 1344 a disparu Simone Martini. Et si on pense que Giotto est mort en 1337, on voit qu’au fond, la peste vient achever l'histoire d'une génération qui a été une génération essentielle dans l'histoire de la peinture“. Un constat qui amène une interrogation : “Certains historiens d'art se sont demandés si, finalement, ce qu'on va appeler la Renaissance n'est pas en partie liée à une sorte de surinvestissement culturel et artistique lié à cette conjoncture de crise“.

Un documentaire de Perrine Kervran, réalisé par Anne Perez.

Avec :

Patrick Boucheron, historien, médiéviste, professeur au Collège de France

Etienne Anheim, historien du Moyen age, anime un séminaire sur Pétrarque à l’EHESS

Johan Picot, historien indépendant spécialiste de la lèpre, et de l’histoire du thermalisme

Giulia Puma. Historienne de l’art  spécialiste des images médiévales, Maître de conférences, Université de Nice, CEPAM, UMR 6130 UNS - CNRS Nice