Les filles violentes, déviantes ou dissidentes ? : épisode 3/4 du podcast Les enfants enfermés ou l’éducation sous contrainte

Image extraite de la série TV "Orange Is The New Black"
Image extraite de la série TV "Orange Is The New Black" - Copyright JoJo Whilden / Netflix
Image extraite de la série TV "Orange Is The New Black" - Copyright JoJo Whilden / Netflix
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La justice française, sexiste, enferme les ado délinquantes dans des préjugés de genre : elles auraient plus besoin de protection et de soins que les garçons. Que dit cette interprétation de la violence des filles ? Révélerait-elle une peur suscitée par le bouleversement des rapports de pouvoirs ?

L’enfermement des adolescentes n’est pas uniquement physique, il est aussi dans la reproduction des préjugés sur ce que doit être une bonne jeune fille.
Nous retrouvons les adolescentes du Centre éducatif fermé (CEF) de Doudeville pour aborder la question du sexisme de la justice des mineurs.

Pour un même délit, une fille et un garçon reçoivent des réponses pénales différenciées. Si les garçons se retrouvent beaucoup plus souvent en prison que les filles, cela ne veut pas dire qu’elles ne sont pas enfermées dans des prises en charges médico-sociales et éducatives. Le contrôle est moins flagrant, mais tout autant opérant. 

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Après la sanction judiciaire, les représentations de genre influencent également le dialogue de l’équipe éducative avec la jeune, très intrusif sur leur intimité. Pour expliquer la conduite déviante d’une adolescente, on met l’accent sur des problématiques liées à des souffrances psychiques, ou des relations familiales ou intimes difficiles, quand on aura tendance à expliquer la violence des garçons par leurs fréquentations ou leur parcours scolaire. 

Dans la prise en charge au CEF, l’accent est mis sur les soins corporels et psychologiques, la psychologue parle de l’enfermement comme une possibilité de régresser dans un cocon protecteur. Ce traitement des femmes par l’institution judiciaire a toujours existé, c’est une façon d’étouffer la violence des filles, parce que sa dimension politique fait peur. Mais c’est sans compter sur la rage d’exister de ces insoumises, qui réussissent à se construire en résistant aux injonctions de genre et à s’en libérer.  

La violence comme une drogue

Je suis rentrée dans un déclic de délinquance, j’ai vu que ça me faisait oublier alors je continuais. La délinquance c’était comme une drogue. Ça me permettait d’endormir ma souffrance, oublier mes problèmes, j’étais dans un autre monde. C’est un cercle vicieux.                          
Une jeune fille du Centre Educatif Fermé de Doudeville

Justice des mineures et discours anti-féministe

Dans la justice des mineurs, 10% de filles sont prises en charge. Cette soit-disant explosion de la violence des filles est à relativiser mais dès qu’elle réapparaît dans les médias, il y a une réutilisation pour un discours sécuritaire avec l'idée qu'au fond, si même les filles s’y mettent, alors il est temps effectivement qu’on redresse ces jeunes. Il y a aussi un discours anti-féministe très fort qui a été de dire qu’il y a eu une libération et une émancipation des femmes et que les femmes se sont mises à faire comme les hommes… Voyez les méfaits du féminisme !                          
Coline Cardi

Représentations historiques de l’identité féminine

À l’égard des garçons, on estime que la violence est une manifestation de leur identité de genre. C’est exactement l’inverse du côté des filles, l’identité de genre des jeunes filles c’est d’être disciplinées, attentives aux autres, en plus d’être les gardiennes de la vertu elles doivent être les garantes de la discipline sociale dans nos sociétés. Cela fait partie de l’identité féminine dans les représentations qu’on s’en fait dans l’histoire. À partir du moment où les jeunes filles se rebellent, il y a une rupture dans l’idée qu’on se fait de ce que doit être une bonne jeune fille… Dans la violence des filles il y a une menace qui remet en cause l’organisation sociale.                          
David Niget

Avec : 

  • Les jeunes filles du Centre Educatif Fermé de Doudeville
  • Coline Cardi, sociologue
  • David Niget, historien
  • Arthur Vuattoux, sociologue
  • Véronique Blanchard, historienne, Responsable du Centre d’exposition de la PJJ
  • Maïté Bourquin, ancienne éducatrice à l’institut public d’éducation surveillée pour filles de Brécourt
  • Aurore Carbonel, psychologue au Centre Educatif Fermé

Merci à Carole Chrétiennot et à la Closerie des Lilas

Un documentaire de Pauline Maucort, réalisé par Gaël Gillon

Pour aller plus loin :

  • Voir les films : Divines de Houda Benyamina (2016), Long Way Home de Jordana Spiro (2018), Bandes de filles de Céline Sciamma (2014), Côté filles, Brécourt… de Michel Basdevant (1998) et la série TV Orange Is The New Black (6 saisons)

Liens supplémentaires :

L'Expérience
57 min

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