Mémoires en héritage : épisode • 3/4 du podcast Les retours du passé

Budapest, Hongrie, 1945
Budapest, Hongrie, 1945 - © Fortepan / Buzinkay Géza
Budapest, Hongrie, 1945 - © Fortepan / Buzinkay Géza
Budapest, Hongrie, 1945 - © Fortepan / Buzinkay Géza
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Comment vivre avec un passé que nous n’avons pas vécu et qui pourtant nous hante ? Occulter, endurer ou travailler les souvenirs, quel que soit le chemin emprunté, on hérite toujours du passé.

Le passé ne fait pas seulement retour chez ceux qui l’ont vécu, il ressurgit également consciemment ou inconsciemment chez ceux qui viennent après. Tels “des fantômes ou des esprits", ces souvenirs douloureux et incontrôlables rôdent dans le paysage, sur des photos, dans la mémoire familiale et l’inconscient collectif.

Il y a ceux qui fuient les lieux ou désertent leur mémoire pour y échapper. Ceux qui fréquentent les cimetières, interrogent leurs proches, compilent des témoignages et s’y confrontent tout en les tenant à distance. Ou ceux qui les affrontent plus directement en retournant sur les lieux. Quel que soit le chemin emprunté, “on ne retourne pas au passé, c'est le passé qui retourne vers nous”.

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Przemysław Nowakowski, né à Varsovie en 1970, raconte qu'il ne pouvait plus supporter le passé des endroits où il habitait, même les immeubles modernes ne lui laissaient pas de répits et l’histoire revenait le hanter : “J'apprenais qu'il avait été construit sur les ruines d'anciennes bâtisses et qu'il y avait en dessous d'innombrables victimes, j'en ai eu assez”, il est donc allé vivre en dehors de Varsovie en espérant “ne plus jamais trouver aucun cadavre enseveli sous la terre”.

Les filles de Lucia Heilman, survivante de l’holocauste, confient toutes les deux avoir des difficultés avec le passé : “J'ai un rapport très particulier au passé, je ne peux absolument pas en entendre parler, ou seulement très difficilement. Il m'est tout aussi difficile d'entendre ma propre mère parler de son passé sans me mettre à pleurer, ou sans que l’émotion me submerge.”

Darek Gajewski, explique : “Beaucoup de Polonais cherchent à se couper de leur mémoire parce qu'elle est difficile, douloureuse et les choses difficiles, on n'aime pas ça, on préfère les choses agréables. Il faut vivre avec et nous portons sans doute ce traumatisme comme un fardeau. C'est comme ça. C'est ce qui nous constitue, même si c'est lourd à porter, même si ce n'est ni agréable ni joyeux, même si cela n'aide pas à construire l'avenir. Ça fait partie de nous, de notre vie.

Ce retour vers le passé, Hanna Krall, journaliste et écrivaine l’exprime ainsi : “La mémoire est un besoin fondamental de l'être humain. Il a besoin de se souvenir, mais surtout de ne pas être oublié”.

Quant à Georges Didi Huberman, historien d’art et écrivain, il rappelle : “On ne peut jamais dire, il n'y a rien à voir. Il n'y a plus rien à voir. Il faut savoir voir encore. Voir malgré tout. C'est à travers un tel regard que les choses commencent à nous regarder”.

Un documentaire de Christine Lecerf, réalisé par Franck Lilin.

Avec :

Dariusz Gajewski, réalisateur et scénariste

Georges Didi Huberman, historien d’art et écrivain

Maja Haderlap, écrivaine

Monika et Viola Heilman, filles de Lucia Heilman

Reinhard Kaiser-Mühlecker, écrivain

Hanna Krall, journaliste, écrivaine

Przemysław Nowakowski, scénariste et écrivain

Doron Rabinovici, historien et écrivain

Gabor Schein, écrivain

Agnieszka Zgieb, traductrice de théâtre

Textes lus : George Didi Huberman, "Ecorces" ; George Didi Huberman, "Éparses"

Voix : Andrea Schieffer, Igor Mendjisky, Aleksandra Yermak, Arben Bajraktaraj

Traduction : Agnieszka Zgieb, Christine Lecerf

Documentation : Maria Contreras

Mixage : Benjamin Thuau

Remerciements :  Eszter Balázs, István Virágvölgyi et Fortepan, base d’archives photos.

Bibliographie

  • Georges Didi Huberman, Eparses, Minuit, 2020
  • Dariusz Gajewski, Warszawa, film, 2003
  • Maja Haderlap, L'ange de l'oubli, trad.Bernard Banoun, Métailié, 2015
  • Reinhard Kaiser-Mühlecker, Lilas rouge, traduit par Olivier Le Lay, Verdier, 2021
  • Hanna Krall, Ryszard Kapuściński, La Mer dans une goutte d'eau, traduit par Margot Carlier, Noir sur blanc, 2016
  • Doron Rabinovici, Ceux d’après, traduit par Colette Strauss-Hiva, Denoël, 2009
  • Gabor Schein, Lazare, traduit par Clara Royer, Editions Petra, 2013

Liens

"Warszawa" - fragment z żyrafą 1

Une histoire des Mémoires des déportations, avec des informations historiques, des biographies de témoins, des témoignages vidéos, …

Imaginer, monter : la mémoire inachevée d’Auschwitz selon Georges Didi-Huberman, par Adina Balint-Babos, Université de Winnipeg, in Voix plurielles, 2014.

Brigitte Rauschenbach : La mémoire des traumatismes collectifs et la politique de réconciliation. Variations sur un thème avec accent allemand, in Revue d'études comparatives Est-Ouest, vol. 31, 2000, n°1.

Approches du regard-image dans Auschwitz et après. « Aucun de nous ne reviendra » de Charlotte Delbo et « Écorces » de Georges Didi-Huberman. Mémoire de Kim Razurel, Université de Montréal, 2017.

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LSD, La série documentaire est en partenariat avec  Tënk, la plateforme du documentaire d’auteur, qui vous permet de visionner jusqu'au 7/2/2022 le film de  Elsa Maury , produit par le  Centre Vidéo de Bruxelles  Nous la mangerons, c'est la moindre des choses(65')

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